Pour la seconde fois depuis le début de l’année, le Vatican est interrogé par un comité de l’ONU sur les actes pédophiles commis par des prêtres. Le Saint-Siège est confronté aux virulentes critiques d’associations de victimes.
Ce sont des journées redoutées par le Vatican. Deux mois après avoir été cloué au pilori par le Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant (CRC) pour "ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour faire face aux affaires de pédophilie", une délégation de l’État pontifical passe une seconde fois sur le grill, les 5 et 6 mai, devant le Comité de l’ONU contre la torture et les traitements inhumains.
Le Saint-Siège, signataire de la Convention internationale contre la torture en 2002, est interrogé comme le sont périodiquement tous les États membres, en même temps que l'Uruguay, le Sierra Leone et, entre autres, la Thaïlande. Mais une question particulière a été abordée par le Comité contre la torture : celle de la pédophilie au sein de l’Église et du "climat d’impunité qui y règne depuis des décennies". Certains juristes, notamment dans les ONG, estiment en effet que ces abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants peuvent être considérés comme des actes de torture en raison de leur caractère coercitif, intimidant et constitutif d’abus de pouvoir.
Le Vatican "fait le ménage"
Le CRC avait déjà épinglé dans un rapport l’État pontifical sur ce sujet, le 5 février. Le comité s’était dit "gravement préoccupé [de voir] que le Saint-Siège n'a pas reconnu l'étendue des crimes commis, n'a pas pris les mesures nécessaires pour faire face à ces affaires de pédophilie et pour protéger les enfants, et a adopté des politiques qui ont entraîné la poursuite de ces abus et l'impunité pour leurs auteurs". Lors d’une rencontre houleuse avec la délégation du Saint-Siège, le CRC l’avait accusé d’avoir continué à protéger les prêtres pédophiles. Le Vatican avait dénoncé de son côté une vision biaisée par la "pression" de certaines ONG.
Pour la défense du Saint-Siège, l’archevêque Silvano Tomasi, nonce apostolique auprès de l’ONU, a affirmé que l’État pontifical ne pouvait être responsable que des crimes commis sur son territoire, le plus petit État du monde peuplé d’à peine un millier de personnes. "Il convient de souligner que le Saint-Siège n’a pas la compétence [juridique, NDLR] sur tous les membres de l’Église catholique", a-t-il déclaré lundi 5 mai.
Par ailleurs, il a certifié que le Vatican "faisait le ménage" dans ses rangs depuis plus de dix ans. Et à raison : la lutte contre la pédophilie, aussi sensible soit cette question entre les murs du Saint-Siège, a connu des avancées majeures au cours de ces dernières années. Selon le Vatican, 700 prêtres ont été destitués depuis 2004, dont 400 entre 2011 et 2012, signe d’une prise de conscience accrue au sein de l’institution.
En avril dernier, le pape François a même "demandé pardon" pour les crimes pédophiles dans l’Église, comme l’avait fait quatre ans plus tôt Benoît XVI, une première dans l’histoire de la papauté.
"Les abus sexuels se poursuivent"
Samedi 3 mai, le Vatican a fait un nouveau pas dans la lutte contre ces crimes sexuels. Une commission mixte créée par le pape François, constituée de laïcs et de membres du corps religieux, et chargée de mettre en place des règles "claires et universelles" à appliquer dans les cas d’abus sexuels, a tenu sa première réunion... sans proposer de moyens juridiques contraignants. La constitution de cette commission, bien que saluée par le Comité de l’ONU contre la torture, "ne doit se substituer à la mise en place d’un système d’enquêtes efficace", précise-t-il.
La commission mise en place par le pape a assuré qu’il n’y aura aucune tolérance aussi bien "pour ceux qui commettent les crimes" que pour ceux "qui se montrent négligeants" face à eux, a précisé le cardinal de Boston Sean O'Malley, membre de la nouvelle commission. Là aussi, l’Église a voulu faire preuve d’un engagement ferme et d’un changement d’attitude sur la question. En 2001, alors que se multipliaient les scandales d’abus sexuels commis par des prêtres, un évêque français avait été condamné pour "non-dénonciation de crime" et "non-dénonciation d’atteinte sexuelle sur mineur". Il avait eu connaissance des abus sexuels commis par l’abbé Bissey sur une douzaines d’enfants mais ne l'avait jamais livré aux autorités civiles. Cette condamnation, inédite en Europe, avait provoqué un séisme au sein de l’Église.
Malgré les gestes de bonne volonté du Vatican ces dernières années, "les abus sexuels se poursuivent au sein de l’Église catholique", affirme Barbara Blaine, présidente du réseau des victimes abusées par des prêtres (Survivor Network of those abused by Priests, SNAP). "Nous n’avons pas vu de changement depuis le mois de février [depuis le rapport du CRC, NDLR]. Il faut des actes, pas seulement des déclarations". Le Comité des Nations unies contre la torture doit rendre ses conclusions le 23 mai.