À l’affiche mercredi, “Noor” retrace le parcours d’un eunuque, ex-membre de la caste des transgenres pakistanais, dont le rêve est de redevenir un homme. Une fiction franco-turque émouvante basée sur la vie d’un garçon en quête d’une vie ordinaire.
Noor a cinq ans quand il commence à danser. Ce petit Pakistanais aux traits fins attire les regards et sait comment récolter des applaudissements. Très rapidement, son talent subvient aux besoins de sa famille, orpheline d’un père mort d’une overdose. Un poids qui le mène à fuguer à l’âge de neuf ans. Il fréquente alors les cirques et les foires à travers le pays, sous la protection des Khusras - la communauté transgenre du Pakistan - qui l’ont pris sous leur aile. Il grandit avec eux, épouse leurs codes, se travestit en femme, découvre même l’amour avec l’un d’entre eux. Une histoire douloureuse qui le conduit à quitter cette caste devenue sa norme. Mais aujourd'hui, Noor veut redevenir un homme, voir sa barbe repousser, et, par dessus tout, recevoir l'amour d'une femme. Seuls stigmates de son passé : ses cheveux longs qu'il refuse obstinément de couper...
Cette histoire vraie et singulière est celle que Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti ont choisi de porter à l’écran pour leur premier long-métrage. Depuis 12 ans, ce tandem va de documentaires en fictions avec une passion commune pour le Pakistan qu’ils ont découvert un peu par hasard. “On allait en Inde en voyage par la route et on s’est arrêtés au Pakistan, on a trouvé ça très intéressant. On a rapidement commencé à tourner des images pour un petit documentaire. C’était il y a 10 ans”, raconte Guillaume Giovanetti à FRANCE 24. “Ensuite, on a beaucoup fréquenté le pays, on y est retournés de nombreuses fois, en tant que touristes, on a rencontré beaucoup de personnes sur place, ils nous ont donné l’envie de faire un travail un peu plus conséquent.”
Un film-thérapie pour Noor
La bande-annonce du film Noor
Parmi ces rencontres marquantes : Noor. Fascinés par son histoire rocambolesque, Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti décident de lui tailler un film sur mesure. “On a eu la chance qu’il ait accepté immédiatement que le film existe. Son envie a toujours été de partager son expérience de vie, de montrer son parcours et d’écouter en retour ce que les gens lui disaient sur les choix et les erreurs qu’il a pu faire”, explique Guillaume Giovanetti.
Un film véritablement cathartique pour le jeune transsexuel, qui a reçu récemment le prix du meilleur acteur lors d’un festival à Vancouver au Canada. “Noor a utilisé le film et l’experience qu’il a eus avec nous pour sortir de la communauté des Khusras. Il n’a quasiment plus de liens avec eux. En ce moment, il gagne sa vie en servant le thé dans un club de billard”, rapporte Çagla Zencirci, également interrogée par FRANCE 24. Seul mais plus sûr de lui, il poursuit désormais sa quête du grand amour, et aux dernières nouvelles, il aurait repris une relation téléphonique avec une jeune femme, comme au début du film. “On croise les doigts pour que ça marche pour lui cette fois-ci !”, confie Çagla Zencirci.
Une autre vision du Pakistan et des transsexuels
Mais au-delà de la démarche personnelle, ce film a également vocation, pour Noor, à montrer un autre Pakistan que celui des drames et des attentats qui frappent le pays quasi-quotidiennement. Noor, Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti ont tous les trois eu à cœur de mettre en avant la dimension culturelle du pays. “Depuis le début, l’expérience nous avons au Pakistan ne correspond pas du tout à ce qu’on peut lire et voir dans les médias. Les Pakistanais ont une idée très précise de l’image qu’a leur pays à l’étranger. Ils ont CNN, ils savent très bien que leur image est mauvaise et ce qui nous plait dans ce film c’est qu’il donne un éclairage différent sur le pays”, commente Guillaume Giovanetti.
Bien souvent méconnus en Occident et réduits à une simple communauté de transgenres, les Khusras sont pourtant incontournables et très visibles dans la société pakistanaise ainsi que dans le reste de l’Asie centrale. Dans ce pays où l’homosexualité est encore un crime, ils sont étonnament intégrés. “À part dans le cadre privé, les femmes pakistanaises n’ont pas le droit de danser. Celles qui se produisent lors de performances publiques sont très rares. C’est culturel. C’est pourquoi, depuis toujours au Pakistan, les hommes travestis ont remplacé les femmes danseuses. Ce sont eux qui dansent”, explique Çagla Zencirci.
Et Guillaume Giovanetti de poursuivre : “Vu de chez nous, l’importance des Khusras peut sembler paradoxale mais c’est une communauté très présente car elle a une fonction dans la société. En particulier dans la région du Penjab mais aussi à Karachi. Célébrations, mariages, fiançailles, naissance d’un enfant… elles se déplacent et font ‘les bons vœux’. Parce qu’ils sont ‘démunis’, on les considère comme protégés par Dieu et on leur accorde même une espèce de pouvoir magique. Du coup, ils ont quelque chose à faire dans un cadre social et dans un cadre festif”. L’acceptation de la communauté transgenre reste très rare à travers le monde. Deux pays d’Asie centrale - le Népal et l’Inde - reconnaissent déjà un troisième sexe. Ailleurs, seuls l’Australie et l’Allemagne ont fait un pas vers leur intégration officielle dans la société.
> “Noor”, sortie en salles le 23 avril 2014