Un ancien capitaine affirme que le but de la mission de l’armée française au Rwanda en 1994 n’était pas seulement humanitaire, mais offensive. Des accusations que réfutent son commandant de l'époque et l'ancien Premier ministre Edouard Balladur.
Il a décidé de témoigner pour enfin "parvenir à la vérité des faits". Guillaume Ancel était capitaine de l’armée française en 1994. Déployé au Rwanda au moment du génocide, il avait été affecté au détachement de la Légion étrangère. Lundi 7 avril, il a livré sur France Culture des révélations de nature à remettre en cause la version "officielle" de l’engagement des militaires français au Rwanda au moment du génocide.
Vingt ans jour pour jour après le début du génocide des Tutsis au Rwanda, et alors que le président rwandais Paul Kagame met directement en cause la responsabilité de la France, cet ancien officier de l'armée française apporte un nouvel éclairage sur l'opération Turquoise, du 23 juin au 22 août 1994.
Turquoise, une opération "offensive" au Rwanda
Depuis octobre 1990, Paris soutenait politiquement, financièrement mais aussi militairement le régime rwandais de Juvénal Habyarimana contre les "rebelles" du Front patriotique rwandais (FPR). L’opération Turquoise a été officiellement lancée le 23 juin 1994, après un vote du Conseil de sécurité, qui souligne dans sa résolution 929 "le caractère strictement humanitaire de cette opération. [Elle devra] être de façon impartiale et neutre et ne constituera pas une force d’interposition entre les parties."
Mais selon l'ancien capitaine français, avant de devenir humanitaire, Turquoise a clairement été une opération offensive. Un raid terrestre, qui devait être accompagné de frappes aériennes, avait été programmé pour aller jusqu'à Kigali. Son objectif : contrer militairement l’avancée du FPR. "Moi je suis parti avec l'ordre opérationnel de préparer un raid sur Kigali. Quand on fait un raid sur Kigali, c'est pour remettre au pouvoir le gouvernement qu'on soutient, c'est pas pour aller créer une radio libre", explique Guillaume Ancel, qui a quitté l'armée en 2005, avec le grade de lieutenant-colonel. "L'ordre que j'ai reçu pour partir au Rwanda était extrêmement offensif", affirme-t-il. L'ex-militaire affirme avoir ensuite reçu, entre le 29 juin et le 1er juillet, un autre ordre, qui "était d'arrêter par la force l'avancée des soldats du FPR": "On n'est toujours pas dans une mission humanitaire."
Selon lui, la France aurait ensuite continué à soutenir le gouvernement génocidaire rwandais et son armée en rendant, vers la mi-juillet, "à ce qui restait des forces armées rwandaises, les dizaines de milliers d'armes" que les militaires français avaient confisquées dans la zone humanitaire. "On a clairement été à l'origine d'une continuation des combats [...], qui ont fait de nouveau des centaines de milliers de morts", admet-il.
Des déclarations à contre-courant de sa hiérarchie
La nature de l'opération extérieure française au Rwanda n'a jamais été remise en cause, ni par la Mission d'information parlementaire en 1998, ni par les autorités politiques ou militaires.
Aujourd'hui encore, l’ancien commandant de Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, récuse toute collusion avec les génocidaires au moment des faits. Au micro de RTL, il qualifie d'"injustes et infondées" les accusations du président Kagame. "Nous sommes arrivés deux mois et demi après le début du génocide, donc un peu tard", concède-t-il : "Il n'empêche que l'opération Turquoise sous mandat de l'ONU, avec l'accord du monde entier, a permis de protéger des populations, de sauver des vies, une quinzaine de milliers de vies". Elle a, selon lui, également permis de maintenir à l'intérieur du Rwanda "quatre millions de personnes", qui fuyaient vers le Zaïre voisin (actuelle RD Congo) devant l'avancée du FPR.
Le colonel Jacques Hogard, qui commandait le détachement de la Légion étrangère, rejette également les accusations de participation au génocide. "L'essentiel de notre travail a été d'agir la nuit pour empêcher les massacres, récupérer des familles menacées [...]. Nous y avons passé les deux mois de notre présence, et nous avons fait de notre mieux pour sauver des vies humaines", a-t-il souligné sur France Inter.
Edouard Balladur continue à nier toute responsabilité de la France
Le Premier ministre français de l’époque (1993-1995), Edouard Balladur, a affirmé, lundi 7 avril sur Europe 1, qu'accuser la France d'avoir participé aux massacres est "un mensonge". "Le gouvernement que je dirigeais a, dès qu'il a été installé, mis fin à toute livraison d'armes au Rwanda et retiré les troupes françaises", a-t-il assuré. "Il fallait surtout que la France ne soit pas prise en tenaille dans une guerre civile, qui se développait et qu'on ne pouvait pas arrêter", a-t-il fait valoir sur Europe 1.
Pour Edouard Balladur, la charge de Paul Kagame est un "mensonge intéressé". "Il cherche sans cesse à mettre en cause la France, alors que lui-même n'a pas réussi, au bout de vingt ans, à rassembler le peuple rwandais".
Alain Juppé, qui était ministre des Affaires étrangères en 1994, s'est exprimé une première fois dans un billet, publié samedi 5 avril sur son blog. Il y parle d'une "inacceptable mise en cause de la France". Interrogé par des journalistes, l'actuel maire de Bordeaux a déploré "l'entreprise de falsification de l'Histoire, régulièrement développée par le régime de Kigali à la fois mensongère et insultante pour la France [...] Nous avons eu raison de prendre nos distances avec ce régime en n'envoyant pas un ministre sur place", a-t-il estimé.
Avec AFP et Reuters