logo

Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, et son homologue des Finances, Michel Sapin, sont en visite à Berlin pour préparer, notamment, le terrain à une probable demande d’un nouveau délai pour réduire les déficits français à Bruxelles.

Berlin aujourd’hui, Bruxelles ensuite. Le nouveau “tandem de choc” de Bercy débute en Allemagne, lundi 7 avril, sa grande œuvre de pédagogie budgétaire. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie et son homologue aux Finances, Michel Sapin, cherchent en effet à rediscuter du “rythme” de la réduction des déficits français.

Plus précisément, Michel Sapin avait évoqué, jeudi 3 avril, la nécessité de “trouver [avec la Commission européenne, NDLR] un rythme adapté à la situation”. Il a pris soin de ne pas prononcer le mot "délai" - la France en a déjà obtenu deux de Bruxelles (en 2010 et 2013) pour atteindre l’objectif des 3 % de déficit - mais personne n’a été dupe. Le gouvernement français a, en effet, annoncé la semaine dernière que le déficit en 2013 avait été plus important qu’anticipé (4,3 % au lieu de 4,1 %), ce qui rend d’autant plus difficile pour Paris de respecter la fameuse règle d’or budgétaire des 3 % en 2015.

Avant de convaincre la Commission européenne, le duo de Bercy doit passer l’obstacle berlinois, connu pour sa rigueur budgétaire. Arnaud Montebourg a rencontré son homologue allemand, le social-démocrate Sigmar Gabriel, tandis que Michel Sapin s’est entretenu avec le ministre des Finances, Wolfgang Schäuble. Ce dernier s’est montré compréhensif à l’égard de la situation française, lundi 7 avril. Il a déclaré que Paris “était sur une très bonne voie” budgétaire et qu’il ne fallait “pas tout réduire à une seule question”, celle de la baisse des déficits.

Traitement de faveur ?

C’est peu ou prou l’argument que Bercy entend développer à Bruxelles. L’idée serait que “si la France pouvait étaler sur une ou deux années supplémentaires les 50 milliards d’euros d’économies à faire, ce ne serait pas seulement une bonne nouvelle pour les Français et l’économie française, mais aussi pour l’Europe”, explique Jérôme Creel, directeur du département d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste de l’économie européenne.

La logique est simple : une rigueur moins brutale peut stimuler la croissance en France et, à cause du poids économique de l’Hexagone, favoriser la reprise européenne. Mais Paris ne peut pas simplement arguer de l’importance de son économie pour obtenir un nouveau délai. Les pays avec lesquels le Commission européenne reste intransigeante, comme le Portugal ou l’Irlande, verraient d’un très mauvais œil un tel traitement de faveur.

Reste que “les ministres français peuvent aller plaider la cause de l’économie française dans le respect du pacte de stabilité”, assure Jérôme Creel. Les textes prévoient qu’il est acceptable de ne pas atteindre l’objectif des 3 % dans certaines conditions. Arnaud Montebourg et Michel Sapin doivent convaincre la Commission que la situation économique n’a pas évolué comme prévu lors de la négociation du précédent délai obtenu de Bruxelles en 2013. “Ils devront démontrer que la trajectoire de croissance a été moins forte qu’anticipée ou que les dépenses publiques ont été plus importantes”, souligne l’économiste de l’OFCE. L’autre solution, d’après ce spécialiste, est de démontrer que la politique de réforme structurelle entamée après l'obtention du dernier délai est plus coûteuse qu'anticipé.

Le risque vient des marchés financiers

Certes, la Commission européenne peut rester insensible aux arguments français, mais ce serait une première. Le vrai risque, d’après Julien Creel, vient des marchés financiers. “Si les opérateurs de marché analysent un nouveau délai comme le signe que la France ne va jamais faire les réformes attendues, ils pourraient sanctionner Paris en poussant les intérêts sur la dette française à la hausse”, analyse cet expert.

Pour lui, ce risque est surtout à prendre au sérieux si des dissensions entre chefs d’État et ministres des Finances européens au sujet de la démarche française s’étalent au grand jour. “Ils pourraient alors déduire que les États membres de l’UE ne sont plus d’accord sur la politique à suivre”, juge Julien Creel. Le grand flou européen autour de la réponse à donner au risque de défaut grec entre 2010 et 2012 avait largement alimenté la défiance des marchés envers la zone euro.

L’ex-Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a d’ailleurs commencé ce week-end à se faire le porte-parole de ceux qui, en Europe, ne veulent pas que la France obtienne un nouveau délai. La France “ne peut pas encore une fois avoir un passe-droit”, a déclaré, samedi 5 avril, celui qui est candidat pour remplacer Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne lors d’un déplacement à Berlin. Il était donc d’autant plus urgent, dans ces conditions, que la France et l’Allemagne apparaissent, en public, être sur la même longueur d’onde budgétaire.