Depuis quelques mois, la ville de Ghardaïa, située à 600 kilomètres au sud d'Alger, est en proie à de fortes tensions. Des heurts sanglants s'y produisent entre membres des communautés berbère (Mozabites) et arabe (Chaâmbas).
Surnommée "la perle du sud", la ville millénaire de Ghardaïa, située à 600 kilomètres au sud d'Alger, est connue pour son architecture classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Mais depuis quelques mois, ce haut lieu du tourisme en Algérie situé aux portes du Sahara, est en proie à de fortes tensions et des heurts sanglants entre les deux communautés mozabite (des berbères de rite minoritaire ibadite) et chaâmbas (arabes). Deux populations qui cohabitent pourtant depuis des siècles dans la capitale de la vallée du Mzab.
Commerces et domiciles pillés puis incendiés, victimes brûlées et défigurées au vitriol et autres acides : depuis le mois décembre, les affrontements intercommunautaires se multiplient. La destruction fin décembre du mausolée d'un érudit, père de l'intégration des arabes dans la communauté berbère de Ghardaïa, avait notamment contribué à attiser les tensions. Et ce, sans compter une lutte fratricide pour l'appropriation d'un espace urbain de plus en plus réduit sur fond de libéralisation économique et de forte urbanisation
Retour au calme
La dernière vague d'affrontements entre Mozabites (3 habitants de Ghardaïa sur 4) et Chaâmbas a commencé le 11 mars. Selon les autorités, elle a fait trois morts et plusieurs centaines de blessés, samedi 15 mars. Le quotidien francophone algérien
"El Watan" a évoqué "une semaine de folie" et "des torrents de haine condensée" pour décrire "le déchaînement de violences réciproques" qui frappe Ghardaïa depuis plusieurs jours. Les services de sécurité avaient arrêté une vingtaine de personnes après ces violences. Dix d'entre elles ont été condamnées, mardi 18 mars, à des peines allant de trois à dix-huit mois de prison pour "attroupement sur la voie publique".
Lundi 17 mars, les funérailles des trois jeunes Chaâmbas se sont déroulées dans le calme en présence de milliers de personnes. La veille, le Premier ministre par intérim, Youcef Yousfi, s’est rendu sur place pour tenter de calmer les esprits. Mais malgré un retour au calme constaté par les médias locaux, la tension reste palpable dans la ville.
Le fait que la ville soit à nouveau quadrillée par des forces de l'ordre qui sont arrivées en renfort a sûrement contribué à éviter que la situation ne dégénère encore plus. En février, après la mort de quatre jeunes Mozabites, le calme avait été restauré après le déploiement massif de policier et de gendarmes à Ghardaïa. Un calme qui avait convaincu le patron de la police d’ordonner un allègement du dispositif sécuritaire. Mais certaines des 200 familles mozabites chassées par les violences en janvier voulaient retourner chez elles, ce qui a apparemment relancé les incidents.
Déficit d’intégration des communautés
Pour Mohamed Djelmami, un intellectuel mozabite récemment interrogé par l’AFP, "la situation actuelle est la conséquence des retombées d'une politique qui a été menée dans cette région depuis l'indépendance".
Selon lui, les Chaâmbas ont accaparé le parti du pouvoir, le Front de libération nationale (FLN), après l'indépendance, se considérant comme révolutionnaires, et taxant les Mozabites, qui ont toujours été autonomes vis-à-vis de l'Etat, de bourgeois réactionnaires. Ces derniers gérant leurs affaires sur la base notamment d'une solidarité communautaire et économique.
Mohamed Djelmani estime que l’une des causes des tensions dans cette région réside dans le déficit d’intégration des communautés. Et de regretter que cinquante ans après l’indépendance du pays, des équipes de football soient créées sur une base strictement communautaire.
Mais pour certains, le problème n’est pas communautaire. Ainsi, Saleh Echeikh, un professeur de droit mozabite de l'Université de Ghardaïa, veut voir "une troisième partie dans le conflit actuel : les groupes criminels, dont se plaignent aussi bien les Mozabites que les Chaambas".
Un avis que partage Fatma Oussedik, sociologue et auteure du livre "Les Itifaqate", un ouvrage de référence sur la région. Ce qui arrive à Ghardaïa est "tragique. C'est la parfaite illustration de la gestion par un non-Etat livré aux trafiquants, c'est la crise des institutions", juge-t-elle.
Avec AFP