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Algérie : onze candidats tentent leur maigre chance face à Bouteflika

La Cour constitutionnelle a enregistré douze candidatures pour l’élection présidentielle algérienne du 17 avril. Parmi elles, celle du président sortant Bouteflika, qui brigue un quatrième mandat. Une candidature qui ne suscite pas d’enthousiasme.

Ils seront finalement douze. Douze candidats enregistrés officiellement en vue de l’élection présidentielle algérienne prévue le 17 avril, sur les 130 qui s’étaient initialement lancés dans la course. L’immense majorité n’est donc pas parvenue à rassembler à temps les 60 000 signatures de citoyens – ou 600 d’élus – nécessaires à la validation de leur candidature devant le Conseil constitutionnel. La date limite du dépôt des documents était fixée au mardi 4 mars, minuit.

Le président sortant, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans dont quinze passés à la tête de l’État, a officialisé sa candidature, lundi 3 mars, pour un quatrième mandat. L’homme, victime, en avril 2013,  d’un grave accident vasculaire cérébral qui avait nécessité une hospitalisation de 80 jours en France, est apparu à la télévision nationale pour la première fois depuis de longs mois. Les Algériens n’avaient pas entendu le son de sa voix, ni pu le voir, depuis un discours de Sétif en mai 2012. Lundi, le président Bouteflika est apparu diminué, il n’a prononcé que quelques mots, d’une voix faible, à peine audible. L’annonce de sa candidature a duré, en tout et pour tout, quatorze secondes.

Une candidature critiquée

Les opposants à un quatrième mandat du chef de l’État sortant se sont immédiatement emparés de la vidéo pour dénoncer un "montage amateur" et une tentative de "manipulation médiatique". Leurs arguments ne sont pas des plus convaincants mais ils illustrent un sentiment répandu chez les Algériens : ils sont nombreux à douter sérieusement de l’aptitude du président Bouteflika à pouvoir assurer un quatrième mandat. En témoignent également les caricatures et dessins humoristiques largement partagés sur les réseaux sociaux. L’un d’eux, réalisé par Dilem pour le quotidien Liberté, représente une momie perdant quelques bandages en marchant, une liasse de feuilles à la main, sous le titre : "Bouteflika s’est rendu en personne au Conseil constitutionnel".

L’annonce de la nouvelle candidature du septuagénaire n’a donc pas soulevé l’enthousiasme des foules. Bien au contraire : les manifestations "Barakat" ("Ça suffit") se sont multipliées ces derniers jours. Amira Bouraoui, médecin gynécologue dans un hôpital d’Alger, infatigable fer de lance de ce mouvement "anti-4e mandat de Bouteflika", affirme avoir reçu des milliers de soutiens provenant de toute l’Algérie. "L’Algérien n’est pas mort, il réfléchit et il n’est pas d’accord", assène l’opposante, malgré trois arrestations en dix jours.

Même ceux qui ne participent pas aux manifestations se laissent aller à la critique. "On prie le bon dieu pour garder en bonne santé notre président mais il faut qu’il cède sa place, maintenant, à quelqu’un qui a des idées pour le pays", explique à FRANCE 24 un "chibani", un ancien, devant une partie de domino, à Bab El Oued. Mais l’un de ses compagnons de jeu, lui, soutien le président sortant : "Moi, je préfère Bouteflika à quelqu'un que je ne connais pas. Notre président, on le connaît, on connaît son histoire et le travail qu'il a fait. Il a sauvé le pays", explique-t-il, faisant référence à la loi d’amnistie promulguée en 1999 par Abdelaziz Bouteflika, tout nouvellement élu, favorisant un retour à la paix après une décennie de guerre civile.

Une jeunesse désabusée

Les 12 candidats enregistrés pour la présidentielle algérienne

Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, président sortant, candidat du Front de libération national (FNL)

Ali Benflis, 69 ans, ancien Premier ministre (2000-2003), candidat du Front de libération national (FLN)

Mohamed Benhamou, 57 ans, élu député en 2007, candidat du parti El Karama (La dignité)

Ali Fawzi Rebaïne, 59 ans, président du parti Ahd 54

Moussa Touati, 60 ans, président du Front national algérien (FNA)

Abdelaziz Belaïd, 50 ans, président du parti El Moustakbal (Le futur)

Ali Zaghdoud, 75 ans, président du Rassemblement algérien (RA)

Louisa Hanoune, 59 ans, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT)

Mahfoud Adoul, président du parti Ennsar El Wanati (parti de la Victoire nationale)

Ali Benouari, 62 ans, ministre du Budget (1991-1992), président du parti 2014 Travail, justice, liberté

Sadek Temache, candidat indépendant

Abdelhakim Hamadi, candidat indépendant

Mais en Algérie, où près de la moitié des 38 millions d’habitants ont moins de 19 ans, beaucoup d’Algériens étaient encore enfants quand Abdelaziz Bouteflika est arrivé au pouvoir. Peu d’entre eux semblent se passionner pour un scrutin présidentiel qu’ils estiment "joué d’avance", alors que 22 % des moins de 24 ans sont au chômage. "Les politiques gèrent le pays entre eux, sans tenir compte de nous", commente un jeune homme. "Ils nous promettent du boulot et des logements pendant la campagne électorale mais nous ne voyons rien venir. Ce sont des paroles en l'air pour flatter la population mais en réalité il n'y aura pas de changements. Je n'attends rien d'eux, ni de Bouteflika ni de quiconque", poursuit-il, cinglant.

Le principal adversaire du candidat Bouteflika, Ali Benflis, Premier ministre entre août 2000 et mai 2003, a mis en garde le gouvernement contre des pratiques pouvant "faire planer un doute sur la crédibilité de l’élection présidentielle", évoquant des "pratiques basses, sordides et lâches". Sur sa page Facebook, Benflis a ainsi raconté la "mésaventure" d’un indépendant, Rachid Nekkaz, dont la voiture contenant "62 000 signatures de citoyens", a, selon ses dires, disparu alors qu’il attendait son entrevue avec le Conseil constitutionnel pour valider sa candidature.

"Les urnes ne sont qu'un leurre"

Mardi, deux autres personnalités politiques ont jeté l’éponge avant même de déposer leurs demandes devant le Conseil constitutionnel. "En réalité, les urnes ne sont qu’un leurre et une piraterie légalement soutenue. Une fois de plus, en Algérie, les forces de la fraude ont pris le dessus sur l’argumentation convaincante […], d’où mon retrait de ces élections […]", a ainsi confié l’ancien Premier ministre Ahmed Benbitour (1999-2000) à l’AFP.

Lors des précédents scrutins présidentiels, plusieurs adversaires d’Adbelaziz Bouteflika avaient dénoncé des fraudes massives et des bourrages d’urnes. L’ambassade américaine d’Alger s’était elle-même officieusement alarmée, dans câble diplomatique publiée sur le site Internet de Wikileaks, de "l’usage de la fraude" au cours de l’élection de 2009. Dans un télégramme en date du 13 avril 2009, l’ambassadeur des États-Unis notait : " Sans surprise, le président Bouteflika a été réélu pour un troisième mandat le 9 avril, au

cours d’élections soigneusement chorégraphiées et scrupuleusement contrôlées, avec, à la clé, des résultats officiels que le principal chef d’opposition qualifie de ‘brejnévienne’". Et pour cause : en 2009, Abdelaziz Bouteflika avait été réélu avec plus de 90 % des voix .