L’Ukraine a vu son paysage politique chamboulé avec la destitution du président Ianoukovitch et la libération de l'opposante Timochenko, en l'espace de 24 heures. Décryptage des hypothèses envisageables pour l’avenir du pays.
Au lendemain de la folle journée de samedi 22 février, marquée par la destitution du président Viktor Ianoukovitch et la libération de l'opposante Ioulia Timochenko, les rues de Kiev ont retrouvé leur calme. Le parlement ukrainien s’est, en outre, doté d’un nouveau président par intérim, Olexandre Tourtchinov, qui doit former d'ici mardi un nouveau gouvernement, et a fixé au 25 mai la date d'une élection présidentielle anticipée.
Les violents affrontements de ces trois derniers mois, qui ont fait près de 80 morts cette semaine, ont laissé place au recueillement, mais aussi aux premières interrogations. Quel avenir dans les prochains mois pour ce pays de 46 millions d'habitants, qui apparaît divisé entre pro-Européens et pro-Russes ? Plusieurs hypothèses semblent d’ores et déjà se dessiner.
Menaces de l’unité nationale
Le scénario le plus redouté est celui d’une partition du pays entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone. La communauté internationale a régulièrement exprimé ses craintes sur la possibilité que la crise aigüe, qui a agité l’Ukraine depuis le 21 novembre 2013 n'ait un peu plus creusé le fossé au sein même du pays.
Soucieuse d’éloigner le spectre d’une scission du pays, la Maison Blanche a rappelé samedi qu'"une partition de l'Ukraine n'[était] dans l'intérêt de personne". La chancelière allemande angela Merkel et le président Vladimir Poutine ont également affirmé dans la même journée combien il était important de préserver l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
À Kharkiv, ville de l'est du pays, des responsables locaux des régions pro-russes ont, en outre, déjà remis en cause la "légitimité" du nouveau Parlement ukrainien, qui selon eux travaille actuellement "sous la menace des armes". "L'intégrité territoriale et la sécurité de l'Ukraine se trouvent menacées", ont-ils estimé.
Diviser pour mieux régner
Un sombre scénario auquel Jean-Christophe Romer, professeur à l'Institut d'études politques de Strasbourg, spécialiste de la Russie, ne croit pas vraiment. "Depuis les années 1990, après chaque crise qu’a connue l’Ukraine, la question de la division a été abordée".
Certains entrevoient, en effet, la possibilité d’un éclatement en deux parties, l'Est et l'Ouest. D’autres imaginent plutôt une répartition en trois États, avec la Galicie - partie occidentale de l'Ukraine proche de la Pologne -, la Crimée - région russophone - et le centre du pays, concentré autour de Kiev. "Mais toutes ces divisions sont autant de simplifications qui ne prennent pas en compte la complexité réelle de la situation, ni le désir des Ukrainiens", avance Jean-Christophe Romer.
La piste d’une division du pays est également rejetée par Volodymyr Poselskyy, vice-président de l’association Ukraine dans l’Europe, interrogé sur FRANCE 24, pour qui "la menace de la division de l’Ukraine a toujours été brandie par Ianoukovitch pour inquiéter et diviser les Ukrainiens."
Vers une démocratie stable ?
La stabilisation du pays vers un État démocratique reste l’hypothèse la plus sérieuse aux yeux de nombreux spécialistes. "Le retour au calme de ces derniers jours rappelle singulièrement la situation de normalisation démocratique qu’avait connue l’Ukraine après la révolution orange de 2004", souligne Jean-Christophe Romer.
"La page de l’ère Ianoukovitch est résolument tournée", assure Volodymyr Poselskyy. "La société ukrainienne est beaucoup plus mûre que ses hommes politiques. Le peuple ukrainien aspire aujourd’hui à vivre dans un État démocratique éloigné de toute corruption. Ce qui se déroule depuis vendredi 21 février au Parlement va dans le bon sens."
Le spectre de la guerre civile
D’aucuns envisagent encore la possibilité de la création d’un État fédéral. "C’est une éventualité que l’on ne peut pas exclure", explique Jean-Christophe Romer. "L’Ukraine pourrait prendre le même destin que la Tchécoslovaquie en 1968, qui, après le printemps de Prague, était devenue un état fédéral."
Reste la possibilité d’un regain de tensions qui mènerait à une guerre civile. "On ne peut pas complètement écarter un retour aux violences, mais ce scénario catastrophe est peu probable", indique le professeur en science politiques. "Il faudra toutefois observer, dans les semaines à venir, l’évolution du discours de ceux qui se présenteront à l’élection présidentielle et voir s’il n’a pas d’escalades des idées et des mots, qui seraient source de nouvelles tensions."
Pas d’intervention militaire de Poutine
On peut enfin s’interroger sur la position que va adopter la Russie vis-à-vis de l’Ukraine de l’après-Ianoukovitch. "Certes, le comportement de Vladimir Poutine devient de plus en plus opaque au fur et à mesure de ses mandats, mais on peut toutefois penser qu’il tentera de tisser de bonnes relations diplomatiques avec celui ou celle qui prendra les rênes de l’Ukraine", assure encore Jean-Christophe Romer.
Selon Laurent Chamontin, un autre spécialiste du monde russe, "il y a au moins une réaction de la Russie. Elle a fait une pause cette semaine dans le versement de son aide à l'Ukraine. C'est un moyen de pression pour se positionner comme un acteur incontournable dans cette crise. De défendre ses intérêts en Ukraine". Mais on ne peut pas l’interpréter, selon lui, comme un "geste va-t-en-guerre", a-t-il expliqué sur France Info.
Et l’Union européenne ? "Bruxelles devra également afficher une diplomatie intelligente et gommer la position dogmatique qu’elle a affichée ces derniers mois, pour permettre aux Ukrainiens d’entrevoir une perspective d’intégration et préserver ainsi son intégrité territoriale et sociale", conclut Jean-Christophe Romer.
La Commission européenne pourrait conclure un accord avec l'Ukraine, une fois que celle-ci se sera dotée d'un nouveau gouvernement. "Je crois que oui, ils (les Ukrainiens) vont signer cet accord", a déclaré dimanche le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, à la chaîne de télévision Sky News. "Je ne sais pas quand. Il faut d'abord qu'il y ait un gouvernement pour ça, cela nécessitera une décision démocratique et il faudra que cela se fasse dans une situation stable."