
La France compte six communes sans habitants. Ces villages, situés près de Verdun, ont été totalement détruits durant la Première Guerre mondiale. Un maire, nommé par le préfet, s'occupe toutefois de leur entretien et fait vivre leur mémoire.
À un mois des élections municipales, François-Xavier Long affiche une grande décontraction. Maire du village de Louvemont-Côte-du-Poivre, dans la Meuse, il ne s’inquiète pas pour sa popularité et ne consulte pas les sondages. "On n’a pas de campagne électorale à faire, il y en a certains qui nous jalousent !", explique-t-il avec humour à FRANCE 24. Et pour cause, ce maire a la particularité de n’avoir aucun habitant sous sa responsabilité.
Louvemont-Côte-du-Poivre fait, en effet, partie des six "villages morts pour la France" * dans la zone rouge de Verdun. En raison des munitions et des corps de soldats présents en nombre encore enfouis dans le sol, ces communes n’ont pas été reconstruites après la Première Guerre mondiale. "C’était un champ lunaire, il n’y avait plus un arbre, plus rien ! En 1919, l’État a fait une loi, mis en place un périmètre et décidé de mettre à la tête de ces villes une commission municipale avec un maire, un adjoint et un conseiller", explique François-Xavier Long.
Des maires comme les autres
Ce chirurgien de profession est maire depuis 2003. Originaire de Provence, il a choisi de postuler à cette fonction administrative en raison de son vif intérêt pour l’histoire : "Je faisais partie d’une association pour le souvenir des membres de santé morts pour la France. J’ai aussi travaillé sur le sujet des Gueules cassées à travers la chirurgie faciale. À force de faire des conférences, quelqu’un m’a dit de m’occuper des villages détruits pour vivre ma passion".
Pour son homologue Jean-Pierre Laparra, maire de Fleury-devant-Douaumont, il s’agit en revanche d’une histoire familiale. Ses ancêtres ont vécu dans ce village, avant qu’il ne soit entièrement rasé en 1916 durant la bataille de Verdun. "Même après la guerre, mon grand-père s’est toujours intéressé à la vie de Fleury. Tout naturellement, mon père est aussi devenu l’un des adjoints dans les années 70, jusqu’en 2000. J’ai pris sa place et je suis ensuite devenu maire", raconte cet ancien commercial de France Telecom, aujourd’hui à la retraite.
Même si sa ville ne compte aucun habitant, Jean-Pierre Laparra a toutes les attributions d’un maire. "Sauf, celle de grand électeur", précise-t-il. À la tête de Fleury-devant-Douaumont, il est avant tout chargé de l’entretien de la commune, qui ne compte plus aujourd’hui qu’une chapelle, un monument aux morts et un mémorial : "J’ai un budget d’environ 22 000 euros par an. Il y a, à peu près, 11 000 euros qui sont consacrés uniquement à la tonte de l’herbe. Il faut que les trous d’obus soient le plus visible pour les touristes qui viennent".
Au quotidien, Jean-Pierre Laparra a aussi pour mission de s’occuper des dépouilles qui sont encore retrouvées sur le territoire de la commune, cent ans après le début du conflit. "Il y a des travaux au mémorial. Le fait de remuer la terre fait apparaitre des corps. Au mois de novembre, c’est un soldat allemand qui a été retrouvé, et là, ce matin, on m’a appelé pour identifier un Français. Il a tout son équipement, sa cartouchière, sa baïonnette", explique le premier magistrat de la commune. "J’ai dû avertir la gendarmerie, le médecin légiste, qui vient nous donner un coup de main pour l’identification des ossements, la direction des affaires culturelles régionales pour voir s’ils veulent faire des fouilles plus pointues ainsi que les sépultures militaires qui vont prendre le corps en charge pour pouvoir le réinhumer sous son nom ou en tant que soldat inconnu".
Des gardiens de mémoire
Pour le maire de Fleury-devant-Douaumont, ces découvertes d’anciens soldats sont toujours très émouvantes : "C’est la partie la plus intéressante de notre métier de maire de villages disparus. C’est tout l’intérêt de rester encore en place maintenant. Il s’est passé quelque chose ici. Ces jeunes se sont battus pour la défense d’un territoire et du village dans lequel ils étaient".
À quelques kilomètres de là, le maire de Louvemont-Côte-du-Poivre partage le même engouement. Lorsqu’il rencontre les nombreux touristes qui se rendent chaque année dans cette région, François-Xavier Long se sent investi d’un rôle de "gardien de mémoire" : "Il faut garder l’âme des villages détruits et qu’ils restent en état pour avoir suffisamment de preuves à montrer pour les jeunes générations. Il ne doit pas y avoir un jour un redécoupage politique qui dise que ces villages ne servent à rien".
Les responsables de "ces villages morts pour la France" n’ont rien à craindre pour les quelques années à venir, surtout en pleine période de commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale. Lors des élections municipales de mars prochain, le préfet de la Meuse va de nouveau nommer les six maires de ces communes pour un mandat de six ans. "En principe, si on n’a pas fait de faute, nous nous succédons", souligne Jean-Pierre Laparra, qui se représente à son poste. François-Xavier Long a, lui aussi, décidé de conserver son écharpe de maire: "C’est une activité passionnante car on participe, à notre petit niveau, à cette histoire qui est très importante pour notre pays".
*Les six villages détruits : Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Samogneux et Louvemont-Côte-du-Poivre.