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Ni sourd ni virtuose, le "Beethoven japonais" qui a menti à son pays

Mamoru Samuragochi, l’un des compositeurs fétiches du Japon, a fait croire qu’il était l’auteur de grands succès de la musique classique, malgré sa surdité. L’imposture a été révélée, jeudi, par l’homme qui a composé pour lui pendant près de 20 ans.

Son histoire et son œuvre avaient conquis les cœurs nippons. Auto-proclamé sourd depuis l’âge de 35 ans, le compositeur japonais Mamoru Samuragochi est à l’origine d’une vaste supercherie révélée, jeudi 6 février, par Takashi Niigaki, professeur de musique dans une prestigieuse école tokyoïte. "Depuis 18 ans, je suis le nègre de Samuragochi", a froidement lâché celui-ci lors d’une longue conférence de presse retransmise à la télévision japonaise.

Pas une seule ligne, ni une seule note depuis 1996, début de la collaboration entre les deux hommes. Mamoru Samuragochi n’est donc pas l’auteur des productions musicales à succès qui lui sont attribuées. "Je pensais être son assistant, mais plus tard j'ai réalisé qu'il était incapable de composer. Au lieu d'assistant, j'étais complice" a expliqué Takashi Niigaki.

Et les révélations fracassantes ne s’arrêtent pas là. La surdité dramatique, qui a largement contribué au succès de Mamoru Samuragochi, n’est que pur mensonge, d’après les dires du professeur de 43 ans. "Depuis la première fois où je l'ai vu jusqu'à maintenant, je n'ai pas pensé une seule fois qu'il pouvait être sourd", a-t-il confié devant plusieurs dizaines de journalistes stupéfaits.

Icône de la reconstruction après le tsunami

Reconnaissable à ses lunettes fumées et sa longue chevelure noire, Mamoru Samuragochi, 50 ans, était surnommé le "Beethoven japonais". Avec sa "symphonie Hiroshima" - dédiée aux victimes de la bombe nucléaire de 1945 -, il était devenu l'icône classique d’un Japon meurtri par le tsunami de 2011, qui a fait 19 000 morts. Une composition brillante hissée au rang d’hymne de la reconstruction. Certains allant même jusqu'à la rebaptiser "symphonie de l'espoir".

La diffusion, sur la chaîne publique NHK, du documentaire "Mélodie de l'âme" en mars 2013 avait achevé de le populariser. On y découvrait le musicien dans la région dévastée par le tsunami de Tohoku (nord-est), en pleine composition d’un requiem pour une fillette orpheline de mère. Après cette émouvante émission, des dizaines de milliers de Japonais s'étaient rués sur la "symphonie Hiroshima". Quelque 180 000 CD se sont écoulés dans le pays, quand un disque de musique classique ne dépasse pas en général les 3 000 exemplaires.

“Il m’a dit qu'il se suiciderait si je ne composais plus"

VIDÉO : la "symphonie Hiroshima" attribuée à Mamoru Samuragochi

Empêtré dans cette spirale mensongère, Mamoru Samuragochi n’aurait laissé aucune porte de sortie à “son nègre”. "À maintes reprises, j'ai voulu arrêter, mais il m'a demandé de continuer en me payant. Quoi que j'ai pu lui dire, il ne me comprenait pas", affirme Takashi Niigaki. "L'an dernier, il est allé jusqu'à me dire par courriel qu'il se suiciderait si je ne composais plus". Auteur d’au moins une vingtaine d’œuvres, Takashi Niigaki n’a été rétribué qu’à hauteur de 7 millions de yen (51 000 euros) pour son travail depuis 1996.

Malgré la pression et les menaces de son “employeur”, Takashi Niigaki a choisi de rompre le silence, son secret devenant trop lourd à porter. "Au départ, j'ai accepté [de composer pour lui, NDLR] sans m'en faire. Mais il est devenu de plus en plus célèbre, et j'ai commencé à craindre qu'un jour on se fasse attraper". Le coup de grâce qui l’a décidé à témoigner : Sotchi. À quelques jours de l’ouverture des JO d’hiver, Takashi Niigaki a appris que le patineur japonais Daisuke Takahashi devait concourir avec des chances de médaille sur une musique… de Mamoru Samuragochi.

“Profondément désolé d’avoir trahi et déçu”

Depuis ces révélations, le compositeur-imposteur, quant à lui, se terre dans le mutisme. Il a uniquement fait savoir par le biais d’un communiqué provenant de son avocat qu'il était "profondément désolé d'avoir trahi ses fans et déçu les autres. Il sait qu'il n'a aucune excuse".

À Hiroshima, où est né Mamoru Samuragochi, la déception est particulièrement grande. Le maire de la ville, Kazumi Matsui, pourrait même destituer l’ex-prodige d’un titre honorifique qu’il lui avait remis pour récompenser son engagement contre le nucléaire.

L’industrie musicale est également sous le choc. Plusieurs labels, dont un des leaders du secteur, Nippon Columbia, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils comptaient retirer la musique de Mamoru Samuragochi des bacs. Plusieurs orchestres à travers le pays ont décidé d’annuler les concerts contenant les morceaux du compositeur et l’orchestre symphonique de Kyushu envisage même de porter plainte pour compenser le manque à gagner que ces révélations provoqueront sur les ventes de billets. Un geste hautement symbolique qui illustre le caractère sacré du devoir de probité au Japon.

Avec AFP