Sur la place Maïdan, dans le centre-ville de Kiev, des opposants au président Viktor Ianoukovitch veillent jour et nuit pour protéger leurs barricades d'un assaut des forces de sécurité. Reportage aux côtés de ces sentinelles de la contestation, qui assurent vouloir rester mobilisées jusqu'à la chute de l'actuel pouvoir.
Ce n'est plus l'affluence des grands jours sur la place de l'Indépendance de Kiev, désormais connue dans le monde entier sous le nom de Maïdan. Le froid, la multiplication des enlèvements et des agressions, en ont dissuadé plus d’un à se rendre sur ce haut-lieu de la contestation contre le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch. Pourtant, le mouvement de protestation s'est juré de tenir bon.
Le centre-ville de la capitale a vu se multiplier les barricades, sur lesquelles un groupe d’auto-défense, qui se dit fort de près de 5 000 hommes, s’emploie à prévenir toute incursion éventuelle des forces de sécurité.
Tous les jours dès 19 heures, Vadim et son colocataire Marian se préparent à passer la nuit autour des barricades. Tous deux membres de l’unité appelée "Varta Maïdan", ces deux jeunes hommes de 25 ans assurent jouer un rôle de modérateur. L'appartement dans lequel ils vivent sert de dortoir aux contestataires. Situé en amont de la place de
l'Indépendance, le logement permet de surveiller les Berkout, la police anti-émeutes. "De cette fenêtre, nous voyons leurs mouvements. Et s'ils se préparent à attaquer, on prévient l'auto-défense de Maïdan", explique Vadim.
"Personne ne les force à venir"
Après une sortie discrète par l'arrière du bâtiment, les deux sentinelles se rendent sous un froid polaire – le thermomètre affiche - 20 degrés – sur les lieux de leur tour de garde. Près des barricades, des volontaires se réchauffent autour du feu. Parmi eux, des groupes d'extrême-droite qui, bien que minoritaires, se sont fait une place au sein de la contestation, et affichent fièrement leur volonté d'en découdre.
Mais la plupart sont des sympathisants venus seulement offrir un peu de leur temps à la cause. "Ici, il y a des gens simples, des habitants de Kiev qui viennent fournir de l'aide. Personne ne les appelle. Personne ne les force, ne les paye...", assure Vadim.
À deux pas du siège du gouvernement ukrainien, les barricades de la rue Grouchevski ont été le théâtre de scènes de guérilla urbaine après l'adoption, le 16 janvier, des lois anti-manifestation, abrogées depuis. Au moins deux militants ont perdu la vie dans les violents affrontements avec la police. "Nous, on évacuait les blessés et on les amenait aux médecins. Avec mon collègue, on a emmené un gars qui avait perdu trois doigts", témoigne Vadim.
En première ligne jour et nuit
Depuis, ces activistes restent en première ligne jour et nuit. "Nous partirons d'ici quand ce président [Viktor Ianoukovitch] ne sera plus au pouvoir. Nous devons vivre ici normalement comme partout en Europe, lance un manifestant, sous couvert d’anonymat. Quand on appelle une ambulance par exemple, il faut qu'elle vienne dès qu'on appelle, en une demi-heure maximum, et pas en trois heures. Nous voulons un pays normal."
Plus loin, la maison des syndicats sert de quartier général des contestataires de "Varta Maïdan". À sa tête, Ivan, un ancien du parti présidentiel. "J'étais garde du corps d'un député du parti des régions quand le mouvement a commencé. Et j'ai décidé de prendre le coté de Maïdan...", affirme-t-il.
Entièrement dévoué à sa tâche, Ivan n'est pas retourné chez lui depuis plus de deux mois. Aujourd’hui, une trentaine d’hommes sont sous ses ordres. "Nous sélectionnons les membres au terme d'un examen psychologique. Ils sont ici pour aider, pas pour aggraver les choses."
Casqués, armés de simples bâtons ou de barres de fer, ces contestataires ont pour mission de sillonner la place de l'Indépendance jour et nuit. Pour beaucoup, cette radicalisation est devenue une nécessité. "Les gens ont le droit de se protéger, de protéger leurs familles, leurs vies", estime Nadezhda, une jeune architecte de Kiev.
Les gardiens de la place de l'Indépendance, en état de siège permanent, vivent dans la seule crainte que le pouvoir n’instaure l'état d'urgence. Malgré des moyens en apparence dérisoires, les opposants à Viktor Ianoukovitch ont juré de rester mobilisés jusqu'à la chute du régime...