Deux mois après la mort du leader sud-africain, les exécuteurs testamentaires de Nelson Mandela ont révélé une fortune de 3 millions d'euros. Un héritage que se partageront, entre autres, les membres d'une famille aux relations tumultueuses.
L’ancien leader sud-africain avait su réconcilier sa nation, pas son clan. La lecture des derniers vœux de Madiba, deux mois après sa mort, ce lundi 03 février, pourrait néanmoins apaiser les rancœurs. Ses trois exécuteurs testamentaires ont révélé une fortune de 46 millions de rands, soit 3 millions d’euros, que se partageront les anciennes écoles fréquentées par Nelson Mandela, l’ANC, ses fondations légataires de sa mémoire et surtout sa famille.
Décédé le 5 décembre 2013 à l’âge de 95 ans, Madiba laisse derrière lui une trentaine de descendants aux relations pour le moins tumultueuses. Marié trois fois - avec Evelyn Mase, ensuite avec Winnie, et enfin à 80 ans avec Graça Machel – Madiba a eu six enfants de ses deux premières unions (dont trois sont morts), dix-sept petits-enfants et quatorze arrière-petits-enfants. De ces deux familles naquirent deux clans rivaux.
Lucide, Madiba semble avoir pris ses précautions pour éviter un drame digne des Atrides. Tout d’abord, il a nommé parmi ses trois exécuteurs testamentaires son ami de longue date et homme de confiance, George Bizos, célèbre avocat des droits de l’Homme. Ensuite, son testament rédigé en 2004 et remis à jour en 2005, alors que le vieil homme - soupçonné de sénilité à la fin de sa vie - avait encore toute sa tête, ne laisse personne en reste.
Mandela a pris ses précautions
Ses trois propriétés ont été léguées à la fondation familiale "Nelson Rohlilala Mandela Family Trust", notamment la maison près de laquelle il est enterré à Qunu dans le sud de l'Afrique du Sud et celle de Johannesburg où il a été longuement soigné dans le quartier aisé de Houghton. "C'est mon souhait qu'elle serve aussi de lieu de rassemblement de la famille Mandela afin de maintenir son unité longtemps après ma mort", a-t-il indiqué dans ses dernières volontés. Un vœu pieu. Madiba parviendra-t-il post-mortem là où il a échoué de son vivant ?
"Il n’est pas sûr que les querelles familiales soient éteintes, mais il est évident que Madiba a pensé à tout. Un testament de 40 pages fait en 2004, avec ses meilleurs avocats, coupe court à toutes rumeurs", commente Caroline Dumay, correspondante de FRANCE 24 en Afrique du Sud.
Le juge Moseneke, qui a lu ses vœux, a noté d’ailleurs que quasiment tous les descendants étaient présents à la lecture et que cela s’était dans l’ensemble bien passé : "La lecture d'un testament pour les familles est toujours une occasion chargée d'émotions car cela fait ressurgir tant de choses... mais cela s'est bien passé. Le testament a été lu, page après page. Cela a pris plus de temps que nous avions pensé. Des clarifications ont été demandées de temps à autre", a indiqué le juge Moseneke, lors de la conférence de presse ce lundi.
La marque "Mandela" au cœur des querelles familiales
Cependant, l’affaire n’est peut-être pas close. "Le chiffre de 46 millions de rands ne prend en compte ni les royalties ni les trusts au nom de Mandela dont on ne connaît pas la valeur", précise Caroline Dumay. L'ancien président sud-africain était en effet propriétaire de deux fonds d'investissements, Harmonieux Investment Holdings et Magnifique Investment Holdings, créés pour gérer les revenus engendrés par la vente de produits dérivés, exploitant son image. Cela pourrait représenter environ 1,7 million d’euros en droits d’auteur.
Deux des filles de Madiba, Maki et Zenani, avaient lancé des poursuites judiciaires l’année dernière pour récupérer le contrôle du trust familial, confié par Mandela lui-même à trois proches, dont son éternel ami George Bizos, directeur des fonds depuis 2004. Bizos avait estimé que les filles cherchaient "à mettre la main sur cet argent pour servir leur propre intérêt".
Si elles se sont défendu d’être des "grippe-sous", les sœurs n’ont pas hésité à exploiter le nom du vieil homme, qui refusait pourtant que l’on exploite son image à des fins commerciales. Zenani a ainsi repris le titre de son autobiographie, "Long walk to freedom", pour en faire une ligne de vêtements ; l’autre partie de la famille a, elle, lancé la marque "46664", en référence au numéro de matricule du célèbre prisonnier de Robben Island. Cette exploitation de l’image de Mandela a donné lieu à des règlements de compte en public. En 2008, à l'occasion du 90e anniversaire de l’ancien président , Winnie et les siens ont boycotté la grande fête donnée en son honneur. Ils refusaient de cautionner le vin étiqueté "House of Mandela", lancé pour l'occasion par Maki, le seul enfant survivant du premier mariage.
Sans parler de l’utilisation de son patronyme pour l’émission télévisée "Being Mandela", une émission de téléréalité qui met en scène deux petites filles de Nelson Mandela, figures de la jet-set de Johannesburg. Un divertissement racoleur, bien loin de la lutte politique de leur grand-père.
Bataille politique
Les querelles familiales ne se cantonnent pas aux affaires d’argent. Les descendants se disputent également l’héritage politique. Après la mort du héros de la lutte contre l’apartheid, sa fille aînée, Makawize, aurait changé les serrures de la maison de son père dans son village natal de Qunu, pour en interdire l’accès à l’un des petits-fils, Mandla. Tous deux aspirent à diriger le clan Thembu, branche royale de la tribu des Xhosa à laquelle Madiba appartenait.
Ces deux descendants ont multiplié les griefs ces dernières années, notamment lorsque Mandla a fait exhumer, clandestinement, les corps de trois membres de la famille pour les transférer de Qunu à Mvezo, village dont il chef. Il espérait également faire enterrer Nelson Mandela dans ce village pour y développer un grand complexe touristique autour de la tombe de son grand-père. Un projet qui a échoué.
Après une bataille judiciaire initiée par le reste de la famille, les dépouilles ont finalement regagné le cimetière familial de Qunu, où repose aujourd’hui Madiba. A ce jour, le petit village est encore épargné par la surenchère commerciale. Mais pour combien de temps ? À ce rythme, les collines vertes et sauvages du Transkei que chérissait tant Mandela pourraient rapidement virer au pèlerinage touristique.