Au Japon, 700 étudiants se rendent quotidiennement à l'Université nord-coréenne de Tokyo, seul établissement supérieur de Pyongyang basé à l'étranger. Reportage dans ce sanctuaire éducatif à la gloire du régime.
Chaque jour, les 700 étudiants de l’Université nord-coréenne de Tokyo poursuivent leur formation dans cet établissement supérieur, le seul basé à l’étranger et financé (en partie) par le régime de Pyongyang.
Pendant plusieurs mois, les correspondants de FRANCE 24, Marie Linton et Guillaume Bression, ont suivi ces étudiants, nés au Japon tout comme leurs parents, mais qui soutiennent corps et âme le régime de leur voisin de l’Ouest.
À Tokyo, la rentrée des classes s’est déroulée sous haute tension. Près de 6 000 manifestants ont battu le pavé dans le centre de la capitale nippone pour protester contre la fin des subventions du gouvernement versées aux lycées nord-coréens du Japon. La plupart de ces protestataires sont des sympathisants du régime de Pyongyang, qui identifie le Japon comme l’un de ses pires ennemis.
"Nous sommes rassemblés aujourd'hui pour dire d'une seule voix 'non' à cette discrimination flagrante, à notre exclusion du système scolaire et à la privation de nos droits", témoigne Il Song, un étudiant de l'Université nord-coréenne de Tokyo.
Postés le long du cortège, des ultranationalistes japonais hurlent leur haine à ces manifestants, qu'ils considèrent comme des ennemis de l'intérieur. "Si vous ne voulez pas être discriminés, quittez le Japon et retournez en Corée du Nord", scande l’un d’eux.
Idéologie
En 2014, on estime que 150 000 résidents japonais soutiennent le régime de Pyongyang. Volontairement ou comme travailleurs forcés, leurs grands-parents ou arrière-grands-parents ont rejoint le Japon alors que la Corée était encore une colonie nipponne.
La persistance de ces établissements nord-coréens en est l’un des reliquats les plus marquants. À l’Université nord-coréenne de Tokyo, le drapeau de la République démocratique et populaire de Corée du Nord flotte au-dessus de la cour de récréation.
En dépit de sa présence en plein cœur de la capitale nippone, l'établissement a pour mission de transmettre l'idéologie du régime stalinien à ses 700 élèves, pour la plupart des immigrés de troisième ou de quatrième génération.
Et ses représentants ont hérité, eux-aussi, des pratiques en vogue avec les journalistes de la mère-patrie : "Je pense qu'ici, c'est un bon endroit pour filmer. Vous ne trouvez pas ? […] Comme c'est le président Kim Il-sung qui a financé ce bâtiment, sur le toit il est écrit : ‘Longue vie au grand leader Kim Il-sung’", explique Son Ji-won, responsable des échanges internationaux de l’université, aux journalistes de FRANCE 24.
Ici comme en Corée du Nord, les portraits des précédents leaders Kim Il-sung et Kim Jong-il sont omniprésents. On retrouve des gravures à leur effigie dans les salles de classe et jusque dans les dortoirs.
Culte
Le paradoxe est saisissant. Les étudiantes, qui pianotent sur leurs smartphones dernier cri, sont japonaises d’adoption depuis plusieurs générations. Et pourtant, elles se sentent nord-coréennes de cœur. Lors de leur stage obligatoire en Corée du Nord, elles se souviennent avec émotion de leur rencontre avec l'héritier du régime.
"Jusque-là, je ne l'avais vu qu'à la télévision. Pour moi, le maréchal Kim Jong-un était quelqu'un de lointain. Donc j'ai été très surprise quand je l'ai vu. Je n'ai pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti. J'étais tellement émue que j'ai juste applaudi", confie Suk-ryeo Ri, étudiante en pédagogie.
Les élèves ont beau avoir suivi leur scolarité en coréen depuis leur plus jeune âge, le japonais reste leur langue maternelle. À leur arrivée à Pyongyang, ils suivent donc une formation intensive pour améliorer leur accent et se faire comprendre des petits Nord-Coréens à qui ils vont faire la classe.
"Nous, on arrivait à comprendre les enfants mais c'est vrai que les enfants de Corée du Nord avaient parfois du mal à nous comprendre. Pourtant, on avait progressé parce qu'on avait énormément pratiqué notre prononciation", explique Mu-Hyang Shin, une autre étudiante en pédagogie.
Élite
L'université est accusée de justifier systématiquement le régime nord-coréen, ses essais nucléaires et ses abus de pouvoir. Les autorités nippones la soupçonnent également de dispenser un enseignement anti-japonais, à l’image du spectacle de fin d’année, qui revenait longuement sur l'oppression nipponne pendant la colonisation.
Une accusation que balaie Jong Ho, Kim, professeur de littérature. "Au Japon, beaucoup de gens se méprennent sur notre compte. Ils pensent que nous donnons une éducation anti-japonaise aux élèves parce que nous leur enseignons l'époque où le Japon colonisait la Corée", déplore-t-il.
Une fois leur formation achevée, beaucoup de ces jeunes iront enseigner dans les écoles nord-coréennes ou deviendront des cadres de Chongryon, l'organisation des Nord-Coréens du Japon. Ils représentent donc l'avenir de la communauté. Pourtant de plus en plus de jeunes sont tentés de renoncer à leur encombrante nationalité nord-coréenne.
"C'est vrai que j'ai déjà pensé à changer de nationalité. Plusieurs de mes proches l'ont fait. Comme le Japon ne reconnaît pas la Corée du Nord, on a l'impression qu'on ne peut être vraiment libre que si on renonce à notre nationalité coréenne. C'est vraiment humiliant parce que si on prend cette décision, ça veut dire qu'on renie nos opinions", regrette Il Song, un étudiant.
Toujours financées par Pyongyang à hauteur de deux millions de dollars annuels, les écoles nord-coréennes du Japon perdent des élèves chaque année. La faute à la baisse drastique des subventions aux écoles mais aussi à l'arrivée de nouvelles générations qui n'ont plus de lien avec la Corée du Nord.