
La "quenelle" défraie une fois de plus la chronique. Nicolas Anelka a fait ce geste décrié samedi lors d’un match de championnat d’Angleterre. Retour sur les origines de ce bras tendu vers le sol, objet d’une telle polémique.
Jusqu’à récemment, la quenelle n’était qu’une spécialité culinaire lyonnaise, à base de farine et d’œufs. Depuis plusieurs mois, impossible de prononcer ce mot sans déclencher une avalanche de réactions. Car la quenelle désigne désormais un geste, dont l’invention est revendiquée par le comique Dieudonné M’Bala M’Bala : un bras tendu vers le sol, la main opposée sur l’épaule. Le geste qu’a fait Nicolas Anelka samedi 28 décembre au cours d’un match du championnat d’Angleterre, pour, dit-il, soutenir l’humoriste dont le spectacle est menacé d’interdiction par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.
Certains, comme Alain Jakubowicz, le président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), y voient un "salut nazi inversé, signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah". D’autres, comme Béatrice Bourges, porte-parole du "Printemps français", à la pointe de la lutte contre le mariage gay, l’interprètent simplement comme un "geste antisystème", un "geste de protestation sociale".
La polémique a commencé à enfler l’été dernier quand deux chasseurs alpins déployés à Paris dans le cadre du plan vigipirate se sont fait prendre en photo devant une synagogue de la capitale en train de faire une quenelle. Sur internet, sont alors remontés à la surface des clichés de Jean-Marie Le Pen, le bras tendu vers le sol, d’Alain Soral, essayiste et idéologue d’extrême droite, "glissant une quenelle" dans le mémorial de la Shoah de Berlin, ainsi que d’autres photos d’illustres inconnus, affichant ce geste devant les vestiges du camp d’Auschwitz ou face à un wagon ayant servi à déporter des Juifs. Mais dans les faits, une grande majorité des photos de "quenelles" visibles sur internet n’affichent en réalité aucun contexte faisant explicitement référence à la Shoah.
"Une mouvance antisystème"
"La quenelle est avant tout un code identitaire, qui a acquis une vraie popularité chez les jeunes. Difficile de dire que tous aient conscience de la portée de ce geste", estimait Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, interrogé dans l’édition du 12 septembre de Libération. Le politologue définit cependant le groupe gravitant autour de Dieudonné comme "une mouvance transversale, antisystème et complotiste, dont l’antisémitisme reste la colonne vertébrale. Leur vision du monde est celle d’un ordre mondial dominé par l’axe Washington-Tel-Aviv. Derrière les discours fustigeant l’Otan et la finance internationale, tout en soutenant Bachar al-Assad et Hugo Chavez, il y a la conviction qu’au fond, ce sont les Juifs qui tirent les ficelles."
L’humoriste, qui a été attaqué à des dizaines de reprises, a été condamné sept fois par la justice pour avoir tenu des propos antisémites. Mais lorsque Dieudonné a publiquement "glissé une quenelle" pour la première fois, ce n’était ni au sujet des Juifs, ni de la Shoah ni d’Israël. C’était en 2005 dans un sketch de son spectacle intitulé "1905". Le comique y décrivait une révolte organisée par les mammifères contre les humains : "Les mammifères sont en train de s’organiser, ils nous regardent. Le dauphin, quand il voit un homme, maintenant, il se fout de notre gueule parce qu’il le sait, que sa nageoire, il va nous la foutre jusqu’ici", expliquait-il, illustrant ses derniers propos d’un bras tendu, la main opposée sur son épaule.
"Ce geste appartient à la révolution"
Aujourd’hui, le geste aurait dépassé son auteur. C'est ce qu'explique Dieudonné dans une vidéo postée le 20 août. "En initiant mes contemporains à cette pratique fantaisiste, je ne savais pas que derrière la façade un peu anonyme et potache se cachait un acte subversif capable d’incarner le déclic qui sera à l’origine de l’émancipation des masses laborieuses, déclarait-il. Je ne pensais pas que le mouvement de la quenelle irait aussi loin. […] Ça ne m’appartient plus, ça appartient à la révolution qui arrive".
Si l’humoriste assure que la quenelle ne lui appartient plus, ce n’est pas tout à fait vrai. Dieudonné a lancé toute une gamme de produits inspirés de la quenelle, un marché florissant à en croire un échange de mails rendu public sur un site proche de l’extrême droite israélienne, JSS News. D’autant plus lucratif que la compagne de Dieudonné, Noémie Montagne, a déposé la marque "Quenelle" auprès de l’Institut national de la propriété industrielle.
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