Le capitaine de la République Centrafricaine de football, Eloge Enza-Yamissi, évoque pour FRANCE 24 la situation dans son pays. Le joueur de Valenciennes adresse un message de paix à ses compatriotes, malgré un contexte dramatique à Bangui.
Les milliers de kilomètres n’atténuent rien ! Le joueur de Valenciennes Eloge Enza-Yamissi vit au quotidien les événements dramatiques qui se déroulent dans sa ville natale, Bangui. Le capitaine de la 106e nation au classement Fifa a accepté de se confier à FRANCE 24. Lui, le chrétien natif du quartier Saint-îlot majoritairement musulman, porte un regard lucide sur la situation de son pays, la Centrafrique. Entretien
FRANCE 24 : quelles sont les informations que vous avez de Bangui ?
Eloge Enza-Yamissi : La situation est assez catastrophique là-bas. Mon père est sur place et il me tient au courant. Ce qui est terrible c’est le problème entre les chrétiens et les musulmans. À la base, les Centrafricains vivaient en harmonie, ensemble, mais le fait que les rebelles armés [Séléka, NDLR] viennent de l’extérieur [principalement du Tchad et du Soudan], qu’ils soient musulmans, et qu’ils massacrent des chrétiens a fait augmenter la haine des Centrafricains. Mais tous les musulmans ne sont pas comme la Séléka.
FR 24 : Quel est pour vous l’origine de ce conflit qui s’est transformé en affrontement religieux ?
E.E-Y. : Les rebelles de la Séléka, musulmans, ont fait un coup d’État et mis en place un président [Michel Djotodia, NDLR] qui n’a pas su les contrôler. Au lieu de repartir, les rebelles sont restés sur place, car le président leur aurait promis des sommes d’argent.
Vu que Michel Djotodia n’a pas les moyens de les payer, les rebelles se sont servis parmi la population. Personne ne pouvait les empêcher. Il y a eu des viols, des meurtres… Le président est responsable de tous ses massacres, car c’est lui qui a permis à ces hommes d’entrer dans le pays. Sans l’intervention des Français, cela aurait été encore pire. Il faut qu’il assume sa part de responsabilité.
Maintenant que la France commence à désarmer les rebelles, les chrétiens veulent se venger, car ils ont perdu des proches tués par des musulmans de la Séléka.
J’espère vraiment que le calme va revenir et que les musulmans centrafricains et les chrétiens vont parvenir à trouver un terrain d’entente. Ce n’est pas tous les musulmans qui ont commis des actions, il y a aussi des chrétiens qui ont commis des actes terribles.
FR 24 : Ce fut un soulagement donc pour vous de voir la France intervenir ?
E.E-Y. : J’aimerais ici rendre hommage aux deux soldats français qui ont perdu la vie à Bangui. Ce n’est pas leur travail d’aller mourir dans un pays qui n’est pas le leur. J’aimerais leur rendre hommage et saluer leur famille.
Si le gouvernement français ne s’était pas décidé à intervenir, la situation serait vraiment chaotique. L’arrivée des Français a ramené un peu de calme. Les gens respirent mais ce n’est pas fini. Le gros problème dans la situation actuelle c’est que l’on ne sait pas qui est qui. Cela risque donc d’être très dangereux et cela peut durer.
FR 24 : Comment vivez-vous cette situation depuis Valenciennes ?
E.E-Y. : C’est très compliqué et délicat. J’essaie de me concentrer sur mon travail ici, mais une fois que je suis à la maison je m’informe sur mon pays.
Mon père me dit que cela va être très compliqué pour le pays. Il y a des problèmes de nourriture, des problèmes pour les enfants. Il y a trop de dégâts, trop de crimes qui ont été commis. J’espère que les soldats français vont améliorer les choses entre les musulmans et les chrétiens centrafricains pour leur expliquer que tous les musulmans ou tous les chrétiens n’ont pas tué des gens.
FR 24 : Quel est selon vous l’avenir de la sélection centrafricaine ?
E.E-Y. : On a beaucoup de joueurs au pays. Dans notre équipe nationale, il y a des musulmans et des chrétiens et cela se passe très bien, mais la situation va stopper la sélection pour le moment. La priorité ce n’est pas l’équipe nationale, c’est le pays, le peuple centrafricain. L’argent, le pays doit le mettre à disposition de la population pour les écoles, pour acheter du matériel. Le sport c’est important, mais cela passe après.
Pour l’équipe nationale, il n’y aura rien pendant un bon bout de temps. Avec ce qui se passe actuellement cela va être très difficile de préparer les éliminatoires de la CAN-2015.
On vient de très loin, on a fait des efforts pour remonter au classement Fifa. On n’avait pourtant pas les moyens. Mais cela peut donner des idées aux Centrafricains. Les choses peuvent changer.
FR 24 : En tant que capitaine, quel est le message que vous voulez transmettre au peuple centrafricain ?
E.E-Y. : On pense très fort à eux. On sait qu’il traverse un moment très difficile. Il faut que les centrafricains chrétiens et les centrafricains musulmans arrivent à faire la part des choses et arrivent à ne pas tout mélanger. Il faut ramener la paix dans notre pays. À la base nous sommes un pays qui n’a pas grand-chose, voire rien, alors avec ce qui se passe en ce moment en plus, cela va être très difficile d’avancer s’il n’y a pas la paix.
C’est sûr que certains ont perdu des gens de leur famille, des proches et souhaitent se venger. Mais la vengeance ne mène à rien. Il faut ramener la paix, pardonner et essayer d’avancer tous ensemble.