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, envoyée spéciale à Soweto – Des chefs d'État, des artistes, des têtes couronnées mais aussi des dizaines de milliers d'anonymes se sont réunis au stade de Soweto pour dire adieu à Nelson Mandela et voir l'Afrique du Sud se tourner vers un nouvel avenir. Reportage.
En Afrique du Sud, on cultive l'art du deuil. Le seul à pleurer, mardi 10 décembre, lors de la cérémonie d'hommage rendue à Nelson Mandela dans le FNB stadium de Soweto, était le ciel. Dans le public comme sur la scène, pas de lamentations, pas de larmes ; pas de noir ni de gris. Au contraire. Du vert, du jaune, du rouge, des bouquets de couleurs ont illuminé les gradins tandis que les chants populaires, qui font la gloire du pays, ont bercé le cérémonial.
Malgré la pluie incessante, les Sud-Africains étaient au rendez-vous. Dès 6 heures du matin, des centaines de personnes se pressaient aux portes du stade survolé par des hélicoptères. En milieu de journée, ils étaient plusieurs dizaines de milliers à rendre hommage à Madiba. Ils sont venus enveloppés du drapeau sud-africain, sous les couleurs de l'ANC (jaune et vert), ou encore dans leurs atours de fête. Comme Chick, un étudiant camerounais vêtu du "Toko", l'habit traditionnel du Cameroun qui ne doit être sorti que pour les grandes occasions.
En attendant l'ouverture officielle des festivités, à 11 heures, le public a donné le change. "Oliva tomba thetha na mobana na khoto le o mandela" ("dites aux Blancs qu'ils doivent libérer Mandela") - le chant du temps de l'emprisonnement de Mandela - a été repris en chœur plusieurs fois. Dans les couloirs comme dans les tribunes, des cortèges de danseurs enflammés se sont relayés près de 8 heures d'affilée pour célébrer celui qui est considéré ici comme un modèle.
Un public qui a montré ses joies et ses mécontentements
"Nelson Mandela est une inspiration. Il nous a fait comprendre qu'on peut faire tout ce que l'on veut si l'on s'en donne les moyens", explique Khjomotjo Majezi, en agitant une pancarte à l'effigie du défunt. La jeune femme a parcouru plus de 350 kilomètres pour assister à l'événement. Luc aussi est venu de loin. Cet étudiant en sciences politiques au Cap dit n'avoir voulu manquer sous aucun prétexte "un événement d'une telle teneur politique". "J'étais allé jusqu'à Washington pour l'investiture d'Obama, alors je ne pouvais pas manquer ce jour", ajoute le jeune homme.
Obama, dont le discours fut l'un des moments phares de la cérémonie, a d'ailleurs eu la part belle lors de la cérémonie. Le public, à peine engourdi par le froid et la pluie, a su montrer son enthousiasme. Tout comme Winnie Mandela, le président américain a soulevé la joie de la foule et a été accueilli par une standing ovation. "On adore Obama", s'extasie presque Refilwe, qui a l'élégance si naturelle qu'elle reste magnifique même avec le sac poubelle dont elle s'est enveloppée pour se protéger de la pluie. "C'est un président noir, comme Mandela !", rit-elle.
L'arrivée à la tribune de Jacob Zuma, le président sud-africain, a en revanche déclenché une salve de huées. Dans les gradins, ils étaient nombreux à faire le signe du changement quand il a pris la parole en fin de cérémonie. "Nous sommes en colère contre lui parce qu'il utilise l'argent de l'État à ses propres fins. Il est corrompu et les gens veulent que cela change", explique Awelani, un habitant de Pretoria venu assister à la cérémonie avec sa femme. Son voisin affirme qu'une "nouvelle révolution est en marche" et qu'elle aboutira à la destitution du président impopulaire.
Un moment d'Histoire
Pour vivre ce moment historique, les gens sont venus entre amis, en famille. Victor Molahloe est venu avec son fils Keegam. "C'est très important. Je veux transmettre l'Histoire de l'Afrique du Sud et le respect de Nelson Mandela à mon enfant." Et quel meilleur endroit pour apprendre l'Histoire que ce stade où Mandela avait fait son premier discours d'homme libre en Afrique du Sud.
Il y a un peu plus de 23 ans, des larmes de joie coulaient sur les joues des milliers de personnes venues accueillir Mandela dans ce même stade le 13 février 1990, deux jours après sa libération. Quand Mandela s'est avancé vers le podium, le poing levé vers le ciel en criant "Amandla !", le stade s'est enflammé pendant plus de dix minutes. La foule a alors entamé la chanson : "Nelson Mandela, sabela uyabizwa" ("Nelson Mandela, nous t'appelons à diriger").
Aujourd'hui, c'est pour lui dire adieu qu'ils sont venus, ou revenus, dans ces lieux imprégnés d'Histoire. "Nous sommes venus dire à Madiba qu'il peut partir en paix et regarder de là où il est notre beau pays, a déclaré en guise d'introduction Cyril Ramaphosa, vice-président de l'ANC. Nous sommes venus te dire que ton long chemin est fini mais que le notre ne fait que commencer." Un message qui ferme la page Mandela. L'Afrique du Sud doit désormais se tourner vers l'avenir.