, envoyée spéciale en Afrique du Sud – Attirés par la prospérité de l'Afrique du Sud, de nombreux étrangers y travaillent. Victimes de plusieurs agressions violentes ces dernières années, certains redoutent que les violences ne reprennent après la mort de Nelson Mandela.
On les appelle les terribles journées de mai. Au printemps 2008, une vague de violences xénophobes s'est abattue sur plusieurs quartiers de la ville de Johannesburg contre des travailleurs immigrés, attirés par la prospérité de l'Afrique du Sud.
Plus de 60 personnes, venant principalement des pays voisins du Mozambique et du Zimbabwe et accusées de voler les emplois locaux et d'augmenter la criminalité dans le pays, ont été sauvagement tués à coups de machette et d'armes à feu.
Des scènes d'une violence inouïe, qui, cinq ans plus tard, au mois de mai de cette année, se sont tragiquement répétées dans certains bidonvilles de Johannesburg. De quoi inquiéter les populations immigrées, qui servent parfois de boucs-émissaires aux Sud-Africains les plus démunis.
À Sunnyside, un quartier de la classe moyenne de Pretoria où seuls 30% de la population est sud-africaine, on redoute surtout que la mort de Nelson Mandela n'ouvre les portes à une nouvelle chasse aux immigrés. Jusqu'à présent, en effet, l'ancien président sud-africain avait toujours représenté une sorte de garde-fou, une sécurité morale qui empêchait le pays de basculer dans la violence.
"Plusieurs fois on m'a dit de rentrer dans mon pays"
"Ici, à part 'Madiba', je n'ai pas d'amis sud-africains", confie Jerry, un Nigérian de 30 ans, dans un salon de coiffure de Sunnyside. "À sa mort, les choses vont changer, c'est sûr. Je ne dis pas que des groupes armés viendront nous chasser ici, je dis simplement que beaucoup de Sud-Africains dans ce quartier ne nous aiment pas. Plusieurs fois on m'a dit de rentrer dans mon pays. Alors je reste sur mes gardes", explique-t-il.
Ebo, son coiffeur, un Nigérian lui aussi, redoute une poussée de xénophobie. Si celle-ci devait se produire, même loin de Pretoria, il songerait sans doute à retourner dans son pays d'origine. "Je travaille dans ce salon de coiffure depuis six mois et je ne vois que des étrangers ici. Les Sud-Africains ne viennent presque jamais se faire coiffer chez moi. Certains nous aiment bien, mais d'autres nous ignorent."
Sur le trottoir d'en face, dans la principale rue commerçante de Sunnyside, Martial, un jeune Camerounais de 30 ans, partage cette appréhension de "l'après-Mandela". Mais il tente de rester confiant. "Les Sud-Africains parlent parfois dans des dialectes que l'on ne comprend pas, ils le font exprès pour nous mettre mal à l'aise, mais c'est tout, explique-t-il. Je ne pense pas qu'à Pretoria des groupes passeront à l'acte."
"Nous faisons tourner l'économie ici"
Pour ce jeune vendeur comme pour Nana, le propriétaire d'un salon de coiffure situé à côté de la boutique de Martial, le racisme latent qui existe à Sunnyside ne se transformera pas en violence. "Quand je pense aux graves incidents de ces derniers temps, j'ai mon cœur qui se brise, précise Nana. Mais j'ai des amis sud-africains, ils ne veulent pas tous nous jeter dehors. Ils ont besoin de nous. Nous faisons tourner l'économie ici. Presque tous les magasins de ce quartier appartiennent à des étrangers."
Surtout, précise encore Martial, le contexte social de Sunnyside est différent de celui des townships où les violences xénophobes se sont déchaînées. "Nous ne sommes pas dans un village isolé ou dans un quartier pauvre ici. Si des Sud-Africains viennent nous attaquer, nous pourrons nous défendre, nous sommes nombreux", explique-t-il tout en habillant son mannequin de vitrine d'une nuisette bleue affriolante.
Même son de cloche chez Ali, son voisin pakistanais, qui tient une épicerie à Sunnyside depuis 30 ans. "Si les violences reprennent, elles cibleront des zones reculées et des quartiers déshérités où les étrangers sont en minorité. Dans les townships, il y a beaucoup de Zimbabwéens et de Mozambicains, c'est pour ça qu'ils s'en prennent à eux, ils sont plus faibles. Ici, les étrangers sont majoritaires," dit-il, tout en ajoutant que les choses changeront sans doute "en pire" après la mort de Nelson Mandela. À ses côtés, son fils Fahim acquiesce, avant d'ajouter. "Je ne partirai jamais d'ici. Même si on essaie de me déloger. Je n'ai pas la carte d'identité mais je suis Sud-Africain moi aussi, j'aime Mandela et je suis ici chez moi".