, envoyée spéciale à Kiev – Le bras de fer se poursuit en Ukraine entre les pro-européens et le gouvernement. FRANCE 24 est allé à la rencontre des milliers de manifestants qui occupent jour et nuit et dans le froid la place de l'Indépendance à Kiev. Reportage.
Ils sont restés éveillés toute la nuit. Sur la place de l’Indépendance de Kiev, épicentre
Le Parlement ukrainien a rejeté mardi la motion de défiance contre le gouvernement de Mykola Azarov tenu responsable par l'opposition de l'échec de l'intégration à l'UE et de la répression des manifestants pro-européens.
Seulement 186 députés ont soutenu le texte proposé par trois groupes de l'opposition alors qu'une majorité de 226 voix était requise. Le Parti des régions, au pouvoir, n'a pas participé au vote.
de la contestation contre le gouvernement, les manifestants montent la garde, emmitouflés dans des écharpes en se réchauffant autour de braseros. Les accès sont bloqués par de solides barricades, difficilement franchissables même pour les Ukrainiens venus à pied rallier le mouvement. Le froid est mordant, en cette nuit du 2 au 3 décembre dans la capitale ukrainienne. Le centre de la ville semble en état de siège.
Depuis le début du soulèvement populaire, le 21 novembre, jour où le président Viktor Ianoukovitch a annoncé qu’il ne signerait pas un accord de libre-échange avec l’Union européenne, la contestation, d'abord spontanée, s'est peu à peu organisée. Jusqu’à prendre aujourd'hui des airs de grande kermesse politique. Au centre de la place, une scène se dresse désormais, sur laquelle se succèdent starlettes et personnalités politiques. Au-dessus, déployé contre l'une des immenses façades qui bordent la place, un écran géant a été installé, qui retransmet le grand show en direct.
La mairie, base arrière de la contestation
Sur la place, un seul mot d’ordre : maintenir la pression "jusqu'à la fin", entendre jusqu'à la démission du président pro-russe Viktor Ianoukovitch. Même l'annonce d'un nouveau dialogue entre le gouvernement ukrainien et l'Union européenne n’a pas suffi à calmer leur ardeur. Ce mardi, trois députés d'opposition doivent déposer une motion de défiance contre le gouvernement. Parallèlement, les manifestants, qui font le siège du gouvernement pour l'empêcher de siéger, ont annoncé qu’ils investiraient le Parlement si la motion de défiance n'était pas votée.
Leurs menaces ne sont pas à prendre à la légère. Dimanche, les protestataires pro-européens sont parvenus à s'emparer de la mairie de la capitale ukrainienne. Il y étaient toujours mardi matin. L’immense bâtiment s'est mué en une véritable base-arrière de la mobilisation, à quelques centaines de mètres de la place de l’Indépendance. La salle de réception de la mairie, malgré ses lustres de cristal clinquants, a aujourd’hui des airs de camp de réfugiés. Des dizaines de personnes, serrées les unes contre les autres, dorment à même le sol ou sur des matelas de fortune. Des ateliers de cuisine improvisés côtoient une infirmerie, signalée par des croix rouges coloriées à la va-vite. Dans un coin, des tas de vêtements chauds - bonnets, gants, écharpes, gros pulls - s'entassent. Les manifestants viennent y puiser de quoi lutter contre le froid.
"J’espère que nos enfants seront fiers"
"Je ne suis pas politisée. Mais je ne voulais pas assister à tout ça depuis mon canapé, je voulais aider les gens. Je suis venue à Kiev pour défendre nos valeurs", témoigne Julia, étudiante en médecine près de Lviv, dans l'ouest du pays. Cette jeune femme de 22 ans, qui gère le coin infirmerie, a pris le train il y a deux jours pour, dit-elle, "donner un avenir à l'Ukraine, pour que la liberté soit respectée". Elle redoute par-dessous tout de voir l'Ukraine revenir dans le giron de Moscou. "Ça signifierait la fin de notre développement, assure-t-elle. J’espère aujourd’hui écrire une page de l’Ukraine, j’espère que nos enfants seront fiers de ce que nous faisons en ce moment."
Autour d'elle, règne un calme étonnant. Dans l'imposante mairie, personne, ou presque, ne parle. Les manifestants, venus prendre un peu de repos ou un plat chaud, se croisent sans échanger un mot. Une quiétude qui contraste avec l'effervescence de la place de l'Indépendance, où des haut-parleurs diffusent de la musique pour maintenir éveillés les quelques milliers d’irréductibles qui bravent la brise glaciale. À perte de vue, le jaune et le bleu des drapeaux ukrainiens côtoient les étoiles de celui de l'Europe.