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Les brigades Abdallah Azzam veulent représenter Al-Qaïda au Liban

Le double attentat-suicide du 19 novembre contre l'ambassade d'Iran à Beyrouth a été revendiqué par les Brigades Abdallah Azzam, un "label" djihadiste adopté par de nombreuses factions islamistes de l'Afghanistan à l'Égypte.

Attentats et voitures piégées font partie intégrante de l’histoire du Liban. Absents durant la période de la tutelle syrienne au Pays du cèdre, ils sont revenus en force une fois celle-ci achevée, en 2005, avec l'assassinat du Premier ministre Hariri. Mais le double attentat contre l’ambassade iranienne, mardi 19 novembre, marque le retour des attaques suicides absentes de la capitale libanaise depuis les années 1980.

Très rapidement, l'attentat qui a fait 25 morts, dont le conseiller culturel de l'ambassade et quatre gardes de sécurité, a été revendiqué sur le compte Twitter d'un cheikh sunnite libanais, Sirajeddine Zouraikat, au nom des "Brigades Abdallah Azzam". L'homme n'est pas un inconnu des services de renseignements de l'armée libanaise qui l'avaient brièvement arrêté en 2012, le soupçonnant d’envoyer des jeunes Libanais et Palestiniens dans des camps d’entraînement en Irak et même en Afghanistan. 

Abdallah Azzam, un précurseur du djihad international

Au Pays du cèdre, ce groupe est plutôt marginal. Mais dans le reste du Moyen-Orient, plusieurs factions et groupes djihadistes ont adopté "l’appellation" Abdallah Azzam. Ce Jordanien, d’origine palestinienne, était une figure du djihad international et un de ses premiers théoriciens. Il fut même un des mentors d’Oussama Ben Laden, fondateur d’Al-Qaïda et parmi les premiers djihadistes arabes à rejoindre l’Afghanistan dès 1980, un an après l’entrée de l’armée russe dans le pays. Azzam a été mystérieusement assassiné en 1989 dans un attentat à la voiture piégée.

Les différentes factions "Abdallah Azzam" sont présentes sur des terrains aussi disparates et éloignés que l’Égypte, la péninsule arabique, l’Afghanistan, la Syrie et le Liban. Mais il est peu probable que toutes les factions soient liées entre elles avec une chaîne de commandement unique et centralisée.

Le groupe qui a revendiqué l'attentat contre l'ambassade iranienne de Beyrouth a été identifié comme étant la "Faction du Levant". Il a été formé par le saoudien Saleh el-Karaawi. Selon certaines sources djihadistes, sa création "officielle" remonte à 2009. D’autres assurent que le groupe a été formé lors des fameuses batailles de Falloujah en Irak, à l’époque où el-Karaawi se battait côte-à-côte avec Abou Moussaab al-Zarqaoui contre les troupes américaines.

Saleh el-Keraawi a été remis aux autorités saoudiennes début 2013, après avoir été grièvement blessé. On ignore toutefois par qui, tant les sources divergent sur le lieu de son arrestation : certains évoquent l’Afghanistan, alors que d’autres assurent qu’il a été arrêté en Syrie. Depuis, les Brigades Abdallah Azzam, sans distinction aucune entre leurs différentes variantes régionales, ont été mises sur la liste des organisations terroristes établie par Washington.

Champ d’action levantin

Les Brigades Abdallah Azzam, dans leur version libanaise, ont eu une activité de propagande et un champ d’action très réduit. Jusqu’aux derniers attentats-suicides de l’ambassade iranienne de Beyrouth, l’action du groupe s’était résumée à un lancement de roquettes raté vers le territoire israélien. Dans ces milieux djihadistes, on exhortait les brigades à plus d’actions et moins de paroles.

En ce qui concerne la Syrie, le groupe appelait la population à maintenir une contestation pacifique. Mais très vite, l’appel au djihad l'a emporté. Ce n’est qu’en décembre 2011 que le nom de l'organisation a surgi dans les médias du régime syrien, qui l’accuse du premier attentat à Damas.

L’émir du groupe, Majed Mohamed el-Majed, avait donné des directives claires à ses combattants en Syrie : il fallait se concentrer sur les cibles militaires, éviter les frictions avec les populations locales et préserver toutes les minorités sans exception. Une logique qui a été suivie par Abou Mohammed el-Joulani, à la tête du Front al-Nosra. À travers cette politique, les deux formations ont essayé d’éviter les erreurs commises en Irak par leurs prédécesseurs. Des erreurs qui avaient mené à un rejet des mouvements djihadistes par la population sunnite irakienne et à la création des milices Sahwa, devenues des adversaires.

À cette période précise du conflit syrien, les Brigades Abdallah Azzam, et ce qui fut l’embryon du Front al-Nosra, se livraient à une lutte "cordiale" pour représenter Al-Qaïda au Levant. Grâce au soutien et aux moyens financiers, notamment ceux de l’État Islamique d’Irak, l'organisation djihadiste qui combat le gouvernement chiite installé à Bagdad, le Front al-Nosra s’est affirmé de plus en plus sur le terrain, surpassant et de loin toutes les autres factions djihadistes.

Les luttes internes d'Al-Qaïda

Dans un enregistrement diffusé le 8 novembre 2013 par Al-Jazira, Ayman al-Zawahiri, le chef suprême d'Al-Qaïda, a martelé que le Front Al-Nosra est la "branche" de l'organisation en Syrie, mettant un point final à la compétition qu'il se livrait avec l'EIIL [État Islamique d'Irak et du Levant].

Dans le communiqué revendiquant l'attentat de mardi 19 novembre, les Brigades Abdallah Azzam ont promis d'autres actions à venir au Liban, pays qu'ils considèrent désormais comme une "terre de djihad". Ils affichent ainsi l’ambition d’être les représentants d’Al-Qaïda au Pays du cèdre.

Pour le moment ce n’est pas encore le cas, les Brigades Abdallah Azzam sont proches d’Al-Qaïda, mais ne représentent pas l’organisation. Comme en Syrie et ailleurs, les chefs djihadistes libanais sont en compétition pour obtenir le commandement de la "cause". L'attentat contre l'ambassde d'Iran à Beyrouth est sans doute un épisode de cette bataille à venir… ou peut-être pas, comme c’est souvent le cas au Liban.