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Liban : la guerre en Syrie exacerbe les tensions entre alaouites et sunnites

Divisés sur la crise syrienne, les communautés alaouite et sunnite de Tripoli, la capitale du nord du Liban, se déchirent sur fond de tensions politico-confessionnelles. Ces dernières semaines la tension a atteint son paroxysme.

Depuis le début de la crise syrienne en mars 2011, Tripoli, la grande ville du nord du Liban, vit au rythme des éruptions de violences chroniques qui touchent deux quartiers historiquement rivaux : Bab al-Tebbaneh et Jabal Mohsen. Unis par la même pauvreté qui y règne mais séparés ironiquement par la bien nommée rue de Syrie, ces deux quartiers s’entredéchirent sur fond de tensions politico-communautaires.

Bab al-Tebbaneh est un fief sunnite qui a pris fait et cause pour la rébellion syrienne, elle-même majoritairement sunnite, tandis que Jabal Mohsen, majoritairement alaouite (branche du chiisme), comme Bachar al-Assad, soutient le régime syrien et son président.
Lignes de démarcation, tirs de sniper, combats de rue, affrontements au lance-roquettes et à l'arme automatique, la situation qui règne dans la cité côtière, peuplée majoritairement de sunnites, n’est pas sans rappeler la guerre qui a ravagé le pays du Cèdre entre 1975 et 1990. Malgré plusieurs interventions de l’armée libanaise pour endiguer la violence, celle-ci a fait 14 morts rien qu'en une semaine, entre le 21 et le 28 octobre dernier, selon les médias libanais.
L’incident du bus
Depuis plusieurs semaines, la tension ne fait que monter entre les deux quartiers. En cause, l’enquête, toujours en cours, sur le double attentat contre deux mosquées de Tripoli qui a fait, le 23 août, plus de 50 morts et des centaines de blessés. Les enquêteurs suivent une piste qui mène à plusieurs individus résidant à Jabal Mohsen. Des accusations rejetées en bloc par les responsables politiques et religieux alaouites.
La fuite dans les médias de l’identité des suspects, de leur lieu de résidence et, par conséquent, de leur confession a jeté de l’huile sur le feu et provoqué de nouvelles violences, notamment après l’arrestation de certains d’entre eux. Le dernier incident en date a eu lieu le 2 novembre, lorsqu’un bus transportant des ouvriers alaouites a été attaqué par des assaillants à l'entrée du quartier sunnite de Bab al-Tebbaneh. Neuf travailleurs ont été blessés par balles et par des coups.
Le risque de voir la situation échapper à tout contrôle est pris très au sérieux par les autorités et la classe politique libanaises qui ont unanimement dénoncé l’incident du bus. "La série d’agressions, qui a pris pour cibles ces derniers jours des alaouites de Jabal Mohsen de passage au cœur des quartiers sunnites de Tripoli, risque de déclencher des réactions en chaîne et d’entraîner Tripoli sur la voie dangereuse, et explosive, d’une spirale de discorde sectaire", est-il écrit dans un article du quotidien francophone "L’Orient-Le-Jour", daté du 4 novembre.
"Un nouveau Kerbala"
D’autant que la tension ne risque pas de retomber de sitôt. En effet, un mandat d’arrêt a été lancé au cours des dernières 24 heures contre l’ancien député Ali Eid, qui n’est autre que le chef du Parti arabe démocrate (PAD), une formation politique alaouite affidée du régime de Damas. Son chauffeur a déclaré, au cours d’un interrogatoire, que l’un des principaux suspects dans l’affaire du double attentat de Tripoli avait réussi à fuir vers la Syrie, après avoir bénéficié de l’aide d’Ali Eid.
Ce dernier, qui se dit fier d’être "un petit soldat au service du président syrien Bachar al-Assad", avait en outre refusé la semaine dernière de répondre à une convocation des services de renseignements de la gendarmerie libanaise. Des services qu’il considère comme étant "à la solde de l’Arabie saoudite et [du leader sunnite libanais, NDLR] Saad Hariri". Et ce, en accord avec le Conseil islamique alaouite, l’autorité religieuse de la communauté, qui a refusé que le "chef et symbole de la communauté alaouite", soit ainsi convoqué.
Contacté par FRANCE 24, une source sécuritaire libanaise qui a requis l’anonymat affirme que "cette affaire n’est nullement communautaire, dans le sens où elle ne concerne que Ali Eid, qui ne représente que sa personne, voire, comme il l’avoue lui-même, le régime syrien, mais en aucun cas la communauté alaouite de Tripoli".
En réaction aux poursuites engagées contre son père, Rifaat Eid a déclaré que le PAD allait organiser une marche pacifique pour dénoncer les récentes attaques perpétrées contre la communauté alaouite. S’il n’a pas précisé la date de cet évènement, qui doit avoir lieu à Tripoli, il a appelé l’État à protéger la manifestation, par crainte "d’un nouveau Kerbala ".
Une comparaison lourde de sens et de sous-entendus puisqu’elle fait référence à la bataille de Kerbala (Irak) de l’an 680, au cours de laquelle l'imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet, a été tué, marquant le point de rupture entre sunnites et chiites.