, envoyé spécial à Berlin – Les élections allemandes n’ont pas seulement consacré Angela Merkel, elles ont aussi redessiner le paysage des "petits" partis. Si la jeune formation anti-euro est créditée d'un score honorable, le Parti pirate essuie lui une cuisante défaite.
Ce sont deux trajectoires électorales diamétralement opposées. L’une reflète l’arrivée en fanfare sur le devant de la scène politique allemande de "l’Alternative pour l’Allemagne" (AfD - Alternative für Deutschland), un parti qui n’existait pas il y a encore 6 mois. L’autre la chute d’une formation, le Parti pirate allemand, qui était depuis près d’un an le chouchou des médias. Les deux illustrent les difficultés d’exister dans une Allemagne archi-dominée politiquement par la chancelière Angela Merkel, grande gagnante des élections législatives du 22 septembre.
À quelques pas de l’imposant QG Berlinois de la CDU, le parti d’Angela Merkel, dans un petit appartement qui leur a servi de bureau de campagne, les responsables de l’Alternative pour l’Allemagne sont partagés entre satisfaction et frustration. “On a cru longtemps qu’on pourrait dépasser les 5 % [le seuil minimum pour être représenté au Bundestag, NDLR], donc on est un peu déçus, mais il faut avouer que c’est quand même un très bon résultat”, résume Götz Frömming, un enseignant berlinois de 45 ans qui s’est présenté sur les listes de l’AfD.
Ce parti, dont le fonds de commerce est de plaider pour une sortie ordonnée de la zone euro, a en effet réussi l’exploit de remporter 4,7% des voix alors qu’il n’a été fondé qu’en avril dernier. Il a fait jeu égal avec les libéraux de la FDP, qui après avoir été quatre ans au gouvernement, n’ont récolté que 4,8 % des suffrages. “Surtout, on est le seul ‘petit’ parti à avoir obtenu des scores similaires dans l’ouest comme dans l’est de l’Allemagne”, se réjouit Götz Frömming. Traduction : leur message hostile à la zone euro a rencontré un écho certain, aussi bien chez les riches allemands de l’ouest que dans les classes plus populaires d’ex-RDA.
Auberge espagnole
L’attrait suscité par un nouveau parti a sans doute également participé au succès électoral. Mais il faut durer dans un système politique où les formations qui n’obtiennent pas 5 % deviennent rapidement inaudibles. Le bon score du 22 septembre risque donc vite de tomber aux oubliettes. “Les élections européennes de 2014 devraient apporter une occasion de faire parler de nous et de nos propositions qui traitent en détails des problèmes européens”, assure Götz Frömming.
En attendant, le mouvement va devoir surmonter le principal handicap des petites formations : sortir de sa niche. Les partis purement protestataires dépassent rarement les 5%. “Réaliser une plateforme commune va être notre principal défi maintenant”, reconnaît Götz Frömming. Il veut croire que sur les questions économiques, l’AfD va rapidement arriver à un consensus autour d’une ligne libérale. Mais sur les questions plus sociétales, comme l’éducation ou même le mariage homosexuel ? Le débat risque d’être houleux au sein de cette auberge espagnole politique qui va devoir éviter les crises internes.
"Coup de pied au cul"
La difficulté d'exister politiquement en Allemagne quand on est un petit parti, le Piratenpartei (Parti Pirate allemand), connaît bien. S'il compte déjà des représentants dans plusieurs parlements régionaux, ses dissensions internes quand il s'agit d'établir ce qu'est son concept, certes alléchant mais flou, de “démocratie digitale” lui ont coûté cher. C’est l’une des raisons qui expliquent son piètre score de 2,2 % aux dernières législatives.
“On a reçu un vrai coup de pied au cul de la part des électeurs”, résume Anita Möllering, l’une des porte-paroles du mouvement à Berlin. “On prône une démocratie transparente, donc nos dissensions se sont étalées au grand jour, notamment sur les réseaux sociaux, ça n’a pas aidé”, reconnaît-elle.
Mais elle voit aussi une autre raison au piètre résultat de son parti, à qui les médias promettaient encore monts et merveilles, et au moins 5 % il y a quelques mois. Dans le contexte de crise européenne, les Allemands se seraient, d’après elle, tournés vers la figure rassurante d’Angela Merkel qui aurait permis au pays de s’en tirer mieux que ses voisins européens. “Il y avait une réticence à tenter de nouvelles expériences comme celles que nous proposons”, regrette Anita Möllering.
Pas de bonus NSA
Dans une société, certes économiquement à l’aise, mais anxieuse, les grandes thématiques du Parti pirate ont pu sembler anecdotiques. La transparence dans le débat public, une plus grande liberté d’expression, davantage de démocratie directe : autant de sujets qui peuvent être porteurs quand on ne craint pas pour ses fins de mois. Même le scandale mondial déclenché par les révélations sur le programme de cyber-espionnage de la NSA n’a pas aidé électoralement le Parti pirate, pourtant à la pointe sur ces questions. “Tous les sondages d’opinion montraient que ce n’était pas un thème électoralement porteur”, note Anita Möllering.
Elle refuse, cependant, que son mouvement soit taxé de “parti avec des problèmes de riches” qui n’aurait pas d’avenir dans un monde en crise. “Les autres partis ne proposent que des réponses à court terme qui ne changent rien au problème, alors que nous offrons des solutions à long terme”, martèle-t-elle.
Encore faut-il le faire comprendre aux électeurs. “Nous devons nous mettre d’accord sur quelques idées fortes qui prouvent que nous avons des propositions précises dans tous les domaines et les expliquer”, résume Anita Möllering. En somme, c’est un retour à la case départ. Leur objectif : dépasser les 3 % aux élections européennes. C’est possible. Le parti AfD n’a-t-il pas obtenu 4,7 % en moins de 6 mois d’existence ?