logo

À Pantin, les Journées du patrimoine font la part belle au tourisme industriel

Pour la 30e édition des Journées du patrimoine, la ville de Pantin a ouvert au public ses anciens magasins de stockage avant de débuter un chantier de ravalement. Preuve que la région parisienne souhaite réinvestir son patrimoine industriel.

C’est un mastodonte délabré où morceaux de vitres brisées et autres déchets jonchent le sol. Un bloc de béton de 30 mètres de haut recouvert de tags plus ou moins enchanteurs. À l’occasion de la 30e édition des Journées du patrimoine en France, les 14 et 15 septembre 2013, les anciens magasins généraux de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris (CCIP), situés en bordure du canal de l’Ourq à Pantin (Seine-Saint-Denis), ont ouvert leurs portes . Une chance unique de découvrir l’intérieur de ce lieu singulier puisque, dès le mois d’octobre, des travaux de réhabilitation seront entamés laissant place à une zone dédiée à l’habitat, aux commerces et aux entreprises.

“Sorti de terre à la fin des années 1920, c’est, dans la région, l’un des derniers bâtiments de cet envergure encore dans son jus”, affirme l’une des guides* offrant des visites intérieures allant de 30 à 45 minutes. Dès le début de l’excursion, dans un vaste un rez-de-chaussée en chantier, sombre et humide, le décor est posé. L’employée municipale guide alors les visiteurs jusqu’à l’étroite et unique cage d’escalier menant aux étages, cinq au total.

“Il n’y a rien à voir et pourtant, c’est fascinant”

Quelques anecdotes sont distillées ça et là tandis que les curieux dégainent leur appareil photo. “Il n’y a rien à voir et pourtant, c’est fascinant”, murmure l’un des visiteurs cherchant à imaginer ce que pouvait être l’organisation spatiale du lieu et son agitation. “On pense que plusieurs centaines de personnes, peut-être 300, travaillaient ici”, explique la guide. Pour comprendre le lieu, l’équipe municipale a longuement épluché une partie des très nombreuses archives de la CCIP pour en tirer quelques tranches de vies et des explications sur le fonctionnement de ces entrepôts.

“Cela fait 15 ans que je travaille dans le quartier, j’ai vu le bâtiment se dégrader au fil des années, c’est devenu un véritable squat. Mais je suis vraiment content de pouvoir enfin voir l’intérieur”, confie Alain, enchanté par sa visite. “C’est un véritable lieu de fantasme pour les Pantinois et habitués du coin. Ils ont suivi son évolution, sa dégradation, depuis des décennies sans pouvoir mettre un pied à l’intérieur”, confirme la conservatrice* du patrimoine de Pantin.

Certains sont en revanche un peu amers. C’est le cas de Christian, retraité, habitant de la région parisienne, qui, malgré le crachin automnal, n’aurait manqué cette occasion sous aucun prétexte. “Pour ma part, j’aurais préféré qu’on laisse cet espace aux graffeurs. Ce lieu avait le potentiel pour devenir un temple du street art, une sorte de PTZ 5 (zone de vastes entrepôts désaffectés qui ont été investis par les meilleurs graffeurs de New York, NDLR)”, regrette-t-il. Et de poursuivre : “Aujourd’hui, pour voir de bons tags en France, il faut aller dans des galeries, ça perd de son charme et de son authenticité. Ces entrepôts, on aurait pu en faire un véritable musée vivant du graph.”

Engouement du grand public pour le tourisme industriel

Mais le street art ne fait pas l’unanimité chez les visiteurs, certains peinant à apprécier l’esthétique du genre. “En l’état, je ne peux pas dire que je trouve ce bâtiment joli. J’attends avec impatience sa rénovation et la transformation du quartier qui va suivre. D’autant plus qu’il n’y a pas beaucoup de commerces à Pantin, on en a besoin !”, explique Monique, retraitée pantinoise.

Là où les visiteurs s’accordent, c’est sur l’intérêt grandissant que suscite le tourisme industriel. Ces ruines, selon la plupart d’entre eux, sont devenues des lieux de mémoire. “Avant, c’était la mode chez les architectes ou les designers, mais depuis le milieu des années 1990, l’engouement pour ce type de tourisme a gagné le grand public. Nous avons de plus en plus de recul sur l’ère de l’industrialisation, ces vestiges incarnent une frange de l’histoire à laquelle les gens commencent à s’intéresser”, explique la conservatrice du patrimoine de Pantin.

“Dans une ville comme la notre, et lorsque l’on est situé en périphérie d’une ville-musée comme Paris, il faut aller chercher ailleurs que dans le tourisme classique pour éveiller l’intérêt du grand public”, ajoute une employée municipale du pôle patrimoine de la ville de Pantin*. Selon elle, le tourisme industriel séduit, aujourd’hui, les nostalgiques, beaucoup d’entre eux ou de leurs proches ayant travaillé dans le secteur. “C’est une nouvelle façon d’apprivoiser sa ville.”

L’intérêt économique grignote le patrimoine industriel

Si les vestiges de l’industrie commencent à acquérir une valeur patrimoniale et sentimentale auprès du public, leur préservation en l’état d’origine reste tout de même rare, la plupart de ces monuments éphémères étant finalement exploités à des fins commerciales.

D’ici à l’horizon 2015, les anciens entrepôts de la CCIP, qui ont été rachetés en 2004 par la ville de Pantin pour la somme de 7 millions d’euros, doivent ainsi abriter des commerces et les nouveaux locaux de l’agence de publicité BETC, filiale du groupe Havas. À côté, ce sont quelque 600 logements qui doivent être construits. “C’est un quartier entier que nous sommes en train de bâtir. D’ailleurs, si le maire a décidé de racheter ces bâtiments, c’est pour avoir la maîtrise de la mutation du quartier”, assure la conservatrice qui, malgré son attachement viscéral aux vieilles pierres, se dit satisfaite du projet de réhabilitation. Elle l’affirme : “l’architecte choisi et BETC sont très soucieux du patrimoine, ils vont garder les volumes et un maximum d’éléments, même si les normes de sécurité françaises mettent souvent les bâtons dans les roues.”

Reste que ce genre de choix qui est “payant sur le plan économique, n'est pas sans poser quelques tensions liées à l'identité de cette ville, bastion communiste jusqu'en 2001”, affirme le journaliste François Weigel sur un blog du Monde.fr . À Pantin, “la requalification de l’espace urbain est allée de pair avec une modification de la sociologie de la ville, caractérisée par l’arrivée de classes moyennes diplômées, et l’embourgeoisement de certains quartiers.” Le signe que le tourisme industriel, qui a donc tendance à céder aux sirènes du profit, n’a pas encore les épaules assez solides pour concurrencer les inébranlables monuments parisiens. En attendant, la ville de Pantin joue les prolongations : face à leur succès, les visites des entrepôts pantinois sont prolongées jusqu’au 18 septembre.

* à la demande de la ville de Pantin, les noms des employés de la municipalité ne peuvent pas être publiés.