François Hollande a jugé "probable" l’utilisation, le 21 août, d’armes chimiques par le régime syrien. Frédéric Pichon, spécialiste de la Syrie, explique pourquoi cette nouvelle attaque ne mènera pas pour autant à une intervention occidentale.
Il pourrait s’agir de l’attaque à l’arme chimique la plus meurtrière depuis le début du conflit syrien en mars 2011. Dans la nuit du 20 au 21 aout 2013, quelque 1 300 civils, dont de nombreux enfants, ont été tués dans un assaut à l’arme chimique de l’armée syrienne de Bachar al-Assad, près de Damas. C’est en tout cas ce qu'affirme l’opposition.
itLe régime estime, pour sa part, qu’il s’agit d’une mise en scène des rebelles pour attirer l’attention de la délégation des Nation unies, présente sur place depuis deux jours pour enquêter sur l’utilisation présumée d’armes chimiques en Syrie. L’Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), qui n’a pas précisé la nature de l’assaut, a recensé plus de 100 morts.
FRANCE 24 a interrogé Frédéric Pichon, chercheur à l'université François Rabelais à Tours et spécialiste de la Syrie, pour tenter de savoir si cette nouvelle attaque peut changer la donne.
FRANCE 24 : Si cette attaque se révélait bien être à l'arme chimique, aurait-elle le pouvoir, de part sa gravité, de faire avancer la situation en Syrie ?
Frédéric Pichon : Je ne pense pas. Si les chiffres de l’opposition sont avérés, il s’agit d’une attaque à l’arme chimique d’ampleur inédite. Pour autant, l’équation du point de vue diplomatique reste la même : l’impuissance des États-Unis qui se sont totalement désengagés de la zone, l’absence de consensus européen, sauf pour la France et le Royaume-Uni, et le soutien indéfectible de la Russie au régime de Bachar al-Assad.
On retrouve un schéma similaire à celui de la guerre au Rwanda : la situation avait beau être insoutenable, la communauté internationale restait impuissante et ne manifestait pas vraiment de désir d’intervenir sur le terrain.
D’après le régime syrien et son allié russe, cette attaque à l’arme chimique serait une mise en scène orchestrée par les rebelles pour faire porter le chapeau à Bachar al-Assad. Que pensez-vous de cette version ?
C’est une hypothèse à laquelle on pense, effectivement, car elle n’est pas totalement impossible. Sans vouloir sous-estimer le côté retors et violent du régime, quel serait son intérêt de mener une attaque chimique d’une telle ampleur alors qu’une délégation onusienne vient tout juste d’arriver en Syrie ? Cela reviendrait à donner le bâton pour se faire battre et ce n’est pas l’image que Bachar al-Assad souhaite donner.
Je ne dis pas non plus que les rebelles sont derrière une telle manigance, mais beaucoup de groupes incontrôlables agissent sous couvert de l’ASL [Armée syrienne libre, NDLR]. Certains radicaux d’Al-Nosra, par exemple, seraient tout à fait capables de monter une telle mise en scène. D’autant plus que récemment, une douzaine de leurs membres ont été arrêtés en Turquie en possession d’éléments chimiques qui pourraient être du gaz sarin.
Si deux ans de guerre civile n’ont toujours pas suffi, qu’est-ce qui pourrait déclencher une action militaire conjointe des Occidentaux ?
Pour l’heure, rien. Je pense que, malgré tous les bombardements meurtriers et les attaques à l’arme chimique qu’il pourrait y avoir, la prochaine étape pour espérer voir les choses bouger c’est un nouveau sommet international, un "Genève II".
Récemment, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec un officier de l’armée française qui m’a dit qu’il y avait eu une envie, au printemps dernier, mais qu’un déploiement militaire international sur place était techniquement compliqué et surtout très cher. D’autant plus que le système de défense anti-aérien du régime est plus coriace que celui de Kadhafi par exemple. Une action militaire occidentale signifierait une perte conséquente en matériel.
Pourquoi la question des armes chimique est-elle si cruciale alors que les bombardements et autres assauts plus "classiques" ont déjà fait 100 000 morts depuis le début du conflit ?
L’arme chimique a une dimension particulièrement grave car elle est moins couramment utilisée dans les conflits. Les images des cadavres ayant été tués à l’arme chimique sont atroces, ça touche immédiatement à l’émotionnel.
Et d’un point de vue diplomatique, l’arme chimique c’est la dernière étape avant d’atteindre le seuil de l’intolérable. C’est l’histoire de la fameuse ligne rouge tracée par Obama à l’été 2012. Tant que l’utilisation des armes chimique ne sera pas internationalement reconnue par tous les bords, le garde-fou est maintenu. En d'autres termes, l'Occident tergiverse parce que reconnaître unanimement l'utilisation d'armes chimique leur impose une intervention militaire dont ils n'ont pas envie.
Pour l’heure, le seul élément qui est avéré c’est qu’il y a eu une vaste offensive de l’armée. On parle de quelque 34 000 hommes mobilisés.