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Au Festival d'Avignon, la crise ivoirienne se rejoue en coupé-décalé

, envoyée spéciale à Avignon – La mode du coupé-décalé, la folie politique, religieuse et nocturne d'Abidjan... Rien de la vivacité de la Côte d'Ivoire n'échappe à "Jet Set", "La Fin du Western" et "Logobi 05", trois pièces d'une troupe germano-ivoirienne présentées à Avignon.

Vous avez suivi le grand drame qui s’est joué pendant l’hiver 2010-2011 à Abidjan en Côte d’Ivoire, mettant en scène Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ? Les deux Allemands Monika Gintersdorfer et Knut Klassen vous invitent à revivre les événements dans "La Fin du western", présentée dans le très officiel festival "In" d’Avignon, du 9 au 14 juillet au Gymnase du lycée Saint-Joseph.

La troupe rejoue le jour où la Commission électorale indépendante avait tenté, début décembre 2010, d’annoncer des résultats partiels, mais en avait été empêché lorsque des représentants de Laurent Gbagbo avaient confisqué et déchiré le papier. Un moment dramatique de leur histoire que les Ivoiriens ont vu et revu en boucle sur les chaînes de télévision et sur Internet. "Les résultats, on les laisse, on les laisse !", répètent deux comédiens ivoiriens en transe.

"Nous n’exprimons pas de ras-le-bol, ne prenons pas parti. Nous remettons à la surface ce qui s’est passé, et que les Ivoiriens ont regardé des milliers de fois sur le Web. Le théâtre est le lien entre YouTube et la réalité", résume l’acteur ivoirien Franck Edmond Yao.

La troupe n’a pas encore joué la pièce en Côte d’Ivoire et s'interroge sur sa réception dans le pays. "Je joue Charles Blé Goudé, je reproduis ses gestes, sa voix, ses mimiques… mais je ne suis pas d’accord avec ses idées ! Il est difficile d’avoir un théâtre apolitique en Côte d’Ivoire", relève le comédien ivoirien Gotta Depri.

Plutôt qu'une réconciliation nationale, le théâtre dansé de Gintersdorfer et Klassen se veut une catharsis. "La réconciliation ne passe pas par l’oubli. Il faut au contraire redire et analyser. Le théâtre ne peut pas faire la paix, c’est un but beaucoup trop grand pour lui", estime la metteuse en scène allemande Monika Gintersdorfer.

Fracas du showbiz

Avec son comparse plasticien et designer Knut Klassen, elle est allée capter l’énergie dans la "sape", le "boucantier" et le coupé-décalé, d’abord découverts dans les boîtes de nuit de la communauté ivoirienne à Hambourg, puis à Abidjan même. Là, ils ont assisté aux meetings politiques et aux services religieux dans les églises évangéliques, et écumé, le soir, les lieux interlopes où le showbiz aborde avec fracas et outrance tous les sujets, même les plus tabous.

Cette énergie est retransmise directement sur scène grâce à la méthode de travail particulière de Gintersdorfer et de Klassen : dialoguer avec les acteurs, définir des thèmes, essayer et improviser. Rien du spectacle n’est écrit. Le verbe est haut, l’humour tenace. La danse fuse de partout.

"Nous sommes intéressés par une certaine qualité de performance, plutôt que par un pays en particulier. Et il se trouve que cette qualité - la force d’être sur scène, d’être dans la performance avec folie, d’être drôle et d’actualité en même temps, d’interagir avec le public - on l’a trouvée avec des Ivoiriens. Pas chez tous les Ivoiriens, ceux du showbiz particulièrement", précise Monika Gintersdorfer.

La performance devient un but en soi dans le théâtre de Gintersdorfer et Klassen. Comme dans la pièce "Jet Set", lorsque l'acteur et danseur Franck Edmond Yao (alias "Gadoukou la star") "travaille" à sortir un par un des dizaines de billets de banque de son caleçon pour les distribuer au public.

"Le coupé-décalé, c’est un état d’esprit, une philosophie, une éloquence. Ce n’est pas seulement une musique et une danse. C’est oser devenir ce que j’aimerais devenir, faire de ses rêves une réalité. Savoir se mettre en valeur, s’habiller, se comporter comme je le veux. C’est une philosophie créée en plein cœur de la France par la communauté ivoirienne ! La vie que vous n’avez pas le courage de vivre, vous les Français, nous avons le courage de la vivre chez vous", s’amuse à provoquer l’acteur, interrogé par FRANCE 24. "Se mettre en valeur, déstresser… nous le faisons avec votre argent, qui est maintenant le nôtre !"