En 20 ans de vie politique et autant de démêlés judiciaires, Silvio Berlusconi a toujours échappé à la prison. En sera-t-il de même malgré sa récente condamnation ? Sa carrière est-elle finie ? L'analyse de Philippe Moreau Defarges.
Corruption, fraude fiscale, affaires de mœurs… en moins de 20 ans, Silvio Berlusconi a été impliqué dans de nombreux procès dont deux sont encore en cours : l’affaire Mediaset et celle du Rubygate pour laquelle il vient d’être condamné à sept ans de prison en première instance. Il risque également l’inéligibilité à vie. Tant qu’il n’aura pas épuisé tous les recours possibles comme l’appel et la cassation, l’ancien chef du gouvernement italien ne risque rien.
Au total, depuis 1994, année de son entrée en politique, il a été condamné six fois et a écopé d'environ 18 ans de prison. Pourtant, le "Cavaliere" n’a pas passé une seule nuit derrière les barreaux. Acquittement, amnistie ou prescription, il est toujours passé entre les mailles du filet. Comment s’en est-il sorti toutes ces années ? L’affaire du Rubygate va-t-elle, cette fois-ci, l’éloigner définitivement de la vie politique ? FRANCE 24 a demandé son analyse à Philippe Moreau Defarges, chercheur et spécialiste de la politique italienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Comment Silvio Berlusconi a-t-il pu échapper à toute condamnation ferme ?
Philippe Moreau Defarges : De manière générale, tout système judiciaire occidental
Datant de 2005, la loi ex-Cirielli, promulguée sous le gouvernement Berlusconi III, prévoit que les personnes de plus de 70 ans ne seront incarcérées que pour des crimes de sang, mafieux ou liés au trafic de drogue.
À bientôt 77 ans, Silvio Berlusconi ne devrait donc écoper que d’une assignation à résidence.
est conçu pour protéger les individus: la présomption d’innocence prévaut. Mais il est vrai qu’au-delà de cet aspect, le système italien a ses particularités… Grâce à la majorité qu’il a su conserver au Parlement, Silvio Berlusconi a pu faire voter des lois le protégeant. C’est notamment le cas sur la prescription judiciaire dont il a fait raccourcir les délais. Les actes dont il s’est rendu coupable sont donc probablement innombrables mais plus répréhensibles.
Silvio Berlusconi va-t-il se retirer définitivement de la vie politique ou peut-il encore opérer un de ses spectaculaires "come-back" dont il a le secret ?
P.M.D. : Cette condamnation est la plus grave et la plus déshonorante que Silvio Berlusconi ait essuyé. On parle de faits de prostitution impliquant une mineure, un sujet plutôt tabou dans une Italie traditionnellement catholique. La corruption de la classe politique n’est pas un fait nouveau dans le pays, les crimes d’argent y sont relativement courants. Tandis que dans le cas du Rubygate, c’est l’honneur d’un homme, sa virilité et son élégance qui sont directement touchés. Autant de valeurs auxquelles les Italiens sont particulièrement attachés.
Pour toutes ces raisons, je crois que, cette fois-ci, Silvio Berlusconi est bel et bien fini en politique. Les images que l’on a vues de lui dans les médias montrent un homme très affecté, voire affaibli. Sous le masque de la chirurgie esthétique à laquelle il s’est beaucoup adonné, il ne faut pas oublier qu’il y a un homme de 76 ans…
Que va-t-il se passer pour lui à présent ?
P.M.D. : Des voix risquent de s’élever contre lui maintenant qu’il est faible. Une ex-femme, une maîtresse, les langues vont se délier, un peu comme dans l’affaire DSK. Sauf que dans le cas de Berlusconi, je lui prédis une fin de vie très triste, il sera de plus en plus seul, rejeté et abandonné. Suivant cette pente vertigineuse, il se pourrait bien que son appel dans le cadre de l’affaire Mediaset ne tourne pas en sa faveur…
Quelles vont être les répercussions sur le gouvernement actuel, déjà fragilisé par la crise politique survenue au printemps après les législatives ?
P.M.D. : Je ne pense pas que la retrait définitif de Silvio Berlusconi de la vie politique change la donne. Il est vrai que l’on entend, ça et là, des membres de son parti qui se disent prêt à quitter le gouvernement par solidarité avec leur leader mais la majorité de ses troupes va le lâcher. L’Italie est dans une situation trop grave pour que certains membres du gouvernement s’amusent à démissionner pour soutenir un homme qui n’a plus d’avenir en politique. Ceux qui resteront auprès de Berlusconi sont probablement ceux qui ont une dette envers lui.