Sans nouvelles des deux évêques orthodoxes enlevés près d'Alep le 22 avril dernier, la communauté orthodoxe d'Orient organise un rassemblement à Paris ce dimanche. L'objectif: alerter l'opinion pour aider à leur libération.
L’inquiétude grandit sur le sort des deux évêques orthodoxes enlevés le 22 avril dernier près d’Alep, en Syrie. Plus d’un mois après le rapt, on est toujours sans nouvelles de l’évêque grec-orthodoxe d’Alep, Boulos Yazigi, et de Youhanna Ibrahim, le métropolite syriaque orthodoxe de la même ville. Selon plusieurs sources concordantes, les deux prélats ont été kidnappés dans le village de Kafr Dael alors qu’ils tentaient de mener une médiation pour libérer deux prêtres kidnappés par des groupes rebelles plusieurs mois auparavant.
Si, dans les jours suivant leur enlèvement, des réactions indignées ont afflué du monde entier, l’affaire n'est plus relayée par les médias. Un silence qui fait craindre aux orthodoxes que les deux évêques tombent dans l’oubli.
Alerter la communauté internationale
Lors d’une homélie prononcée à Damas le 20 mai, le patriarche orthodoxe Jean X d’Antioche a ainsi lancé : "Je profite de cette occasion pour adresser, en votre nom, vous qui êtes dans la patrie ou en diaspora, un appel à la communauté internationale pour l’inciter à déployer tout ce qui est possible pour faire libérer les [évêques] enlevés […]".
En réponse à cet appel, la communauté orthodoxe de France a décidé de se mobiliser pour alerter "la communauté internationale et l’opinion publique" française sur le sort "des deux évêques enlevés, mais aussi de toutes les personnes privées de liberté", selon les termes du communiqué. À l’initiative de l’archevêché antiochien orthodoxe d’Europe et de l’Église syriaque orthodoxe de Paris, un rassemblement est prévu, dimanche 2 juin, sur le parvis des Droits de l’Homme, au Trocadéro, à Paris.
Interrogé par FRANCE 24, Mgr Ignace Alhochi, évêque de la communauté orthodoxe de France, souligne qu’il s’agit d’un "rassemblement silencieux, de prière pour la libération des deux évêques [...]". Il explique que le but de cette mobilisation inédite est "d’attirer vraiment l’attention des pouvoirs publics sur cette affaire dans le but d'œuvrer à leur libération".
Les évêques seraient toujours en vie
Même si peu d’informations filtre sur l’identité et les motivations des ravisseurs des deux prélats, certaines sources au sein de l’opposition ont, toutefois, fait état de preuve de vie des deux religieux à plusieurs reprises. "La seule information qui est sûre pour nous, c'est qu'il y a deux ou trois jours, un médecin a rendu visite aux deux évêques. Ils vont bien", déclarait ainsi à la presse Abdul Ahad Steipho, membre de la Coalition nationale syrienne (CNS), principale instance de l’opposition, le 26 mai dernier en marge d’un rassemblement de l’opposition en Turquie.
Abdul Ahad Steipho, lui-même chrétien, préside un comité formé par la CNS pour enquêter sur les enlèvements à caractère crapuleux dont ont souvent été accusés des groupes de rebelles depuis deux ans. Il a, en outre, indiqué que les tentatives de son comité pour obtenir un contact téléphonique direct avaient échoué et qu'il recevait "beaucoup d'informations contradictoires sur l'identité des ravisseurs et sur leurs demandes de rançon". Interrogé sur les différentes pistes possibles, l'opposant répond : "Ces enlèvements sont parfois commis par des bandes criminelles, parfois par le régime (du président Bachar) el-Assad et, parfois, il faut être franc, les brigades de l'Armée syrienne libre sont responsables de tels enlèvements, afin d'effectuer des échanges d'otages".
Pour l’heure, aucune revendication n'a été formulée, mais des sources au sein de l'Église grecque orthodoxe et du régime syrien ont affirmé, peu de temps après les faits, que les ravisseurs étaient des "djihadistes tchétchènes".
Le kidnapping, un business juteux devenu monnaie courante en Syrie
Pour Hassan, un membre de la communauté, qui participe au rassemblement de dimanche, "l’initiative ne se veut pas communautaire, mais avant tout humaine". "Chacun est invité à venir, il y aura des chrétiens et des musulmans", assure-t-il. Ce père de famille, dentiste, ne cache pas son inquiétude. "Nous espérons que les évêques ont été enlevés pour des motifs mercantiles, comme ce fut le cas de nombreux Syriens et non parce qu'ils sont évêques", confie-t-il.
Plusieurs dignitaires religieux musulmans ont été tués depuis le début du conflit syrien, il y a deux ans, mais c'est la première fois que des prélats chrétiens sont victimes des belligérants. Les chrétiens, qui constituent environ 5 % de la population syrienne, sont particulièrement vulnérables dans le contexte d'anarchie favorisé par le conflit qui ensanglante le pays, soulignent les organisations de défense des droits de l'Homme. Interrogé en septembre dernier par Reuters, Yohanna Ibrahim, l’évêque d'Alep enlevé, avait indiqué que les chrétiens d'Alep étaient directement affectés "par les combats qui se déroulent depuis des mois pour le contrôle de cette grande ville du nord du pays".
"Nous voulons attirer l’attention sur ces deux personnes, mais à travers eux sur tous ceux qui sont enlevés en Syrie", explique encore Hassan. Le kidnapping est, en effet, devenu monnaie courante en Syrie. Nombreux sont ceux qui ont dû payer des sommes exorbitantes pour faire libérer un membre de leur famille aux mains de groupes armés.
Cité par "Le Figaro" en février dernier, le ministre syrien de la Réconciliation évoque "un grand marché". Il estime à 5 000 le nombre de personnes enlevées par l'un ou l'autre des belligérants ou par des brigands qui profitent de l'instabilité pour s'enrichir.