
La patronne du Fonds monétaire international Christine Lagarde doit s'expliquer jeudi devant la Cour de justice de la République sur la décision de l'État de recourir à un tribunal arbitral dans l'Affaire Tapie. Elle risque une mise en examen.
Souriante, tailleur marine et étole turquoise, la directrice générale du FMI Christine Lagarde est arrivée, jeudi 23 mai dans la matinée, à la Cour de justice de la République (CJR), à Paris. L'ex-ministre de l'Économie (2007-2011) va devoir défendre son choix d’avoir recouru, en 2007, à un arbitrage privé et coûteux pour régler un litige judiciaire concernant la revente d'Adidas par le Crédit Lyonnais, contrôlé par Bernard Tapie, en 1993. Elle risque une mise en examen pour "complicité de faux et de détournement de fonds publics".
L'audition de la directrice générale du FMI, à l'issue de laquelle elle sera soit mise en examen, soit placée sous statut de témoin assisté, pourrait se poursuivre jusqu'à vendredi, a indiqué son avocat, Me Yves Repiquet. La CJR reproche à Christine Lagarde d'avoir recouru à ce tribunal arbitral privé alors qu'il s'agissait de deniers publics et de ne pas avoir exercé de recours contre cet arbitrage controversé. Le 7 juillet 2008, ce tribunal a condamné le Consortium de réalisation (CDR), organisme public gestionnaire du passif du Crédit Lyonnais, à verser 285 millions d'euros (400 millions avec les intérêts) à Bernard Tapie.
"Indices graves et concordants"
La procédure visant Christine Lagarde pour complicité de détournement de fonds publics et de faux dans cette affaire date de 2011. À l’époque, la CJR avait elle-même évoqué "de nombreuses anomalies et irrégularités" dans cette affaire. Des extraits du réquisitoire de la CJR ont été publiés mercredi 22 mai dans Le Canard Enchaîné, qui le qualifie de "sans pitié" : "De l'ensemble de ces décisions systématiquement défavorables aux intérêts (...) de l'Etat résultent des indices graves et concordants faisant présumer que, sous l'apparente régularité d'une procédure d'arbitrage, se dissimule en réalité une action concertée en vue d'octroyer aux époux Tapie (...) les sommes qu'ils n'avaient pu jusqu'alors obtenir" de la justice, écrirait ainsi le procureur.
De son côté, la directrice générale du FMI, dont le domicile a été perquisitionné fin mars, dément toute malversation et a exclu de démissionner d'un poste qu'elle occupe depuis le départ forcé de Dominique Strauss-Kahn de Washington après l'affaire du Sofitel. En septembre 2008, elle avait déclaré devant une commission d'information parlementaire qu'elle n'agissait "pas sur instruction [de Nicolas Sarkozy, président de la République à l'époque], mais sur la base de (son) appréciation", rappelle par ailleurs l'hebdomadaire satirique.
Bercy envisage de se constituer partie civile
Christine Lagarde, qui se disait sereine en avril dernier concernant cette convocation, bénéficie de "la confiance des autorités françaises", a déclaré mercredi à l'AFP le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici. Toutefois, ce dernier a annoncé qu’en cas de mise en examen de la directrice générale du FMI, Bercy envisageait un recours en révision contre l'arbitrage controversé de 2008. Le ministère de l'Économie pourrait également se constituer partie civile dans l'enquête sur le volet non ministériel du dossier "s'il s'avérait que les intérêts de l'Etat ont été lésés".
De son côté, le Conseil d'administration du FMI estime que l'ancienne ministre de l'Economie n'a pas tiré personnellement profit de l'arbitrage privé choisi pour régler le litige judiciaire opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais. "Pour l'instant, ce n'est pas une préoccupation", indique une source de l'institution. Le Conseil devra revoir sa position si cette procédure judiciaire commençait à l'empêcher d'exercer son mandat, ajoute-t-elle toutefois.