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Les frères Tsarnaev, symbole d'une génération de djihadistes influencés par Internet ?

Les frères Tsarnaev suspectés d'être les auteurs de l'attentat de Boston ont le profil de jeunes qui se sont radicalisés par Internet. Pour Dominique Thomas, spécialiste des mouvements islamistes, les nouveaux djihadistes sont recrutés sur la Toile.

Les motivations des deux suspects de l'attentat de Boston, Tamerlan, 26 ans, (mort dans la nuit de jeudi à vendredi) et son frère cadet Djokhar, 19 ans, (arrêté par la police) sont pour l'instant inconnues. Mais des recherches sur les réseaux sociaux et notamment sur leurs profils Twitter et Vkontakte (équivalent russe de Facebook) montrent que ces deux jeunes s'intéressaient à la mouvance islamiste. 

Selon Dominique Thomas, chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales (Ehess), spécialiste du djihad international et auteur de "Le Londonistan, la voix du djihad", les frères Tsarnaev ont sans nul doute commencé leur parcours vers la radicalisation sur Internet.

France 24 : Est-ce que les deux suspects de l’attentat de Boston semblent correspondre au profil d’une nouvelle génération de djihadistes radicalisés sur Internet ?

Dominique Thomas : C’est l’hypothèse qui est pour l’instant retenue et la plus vraisemblable, même s’il manque encore beaucoup d’éléments sur leur trajectoire personnelle. Il est tout à fait possible que ces deux jeunes se soient imprégnés d’une idéologie djihadiste sur Internet. Ils ont peut-être consulté des revues rédigées dans leur langue d’origine du Caucase, mais aussi en anglais. Il y a beaucoup de documents disponibles désormais sur Internet en anglais, comme la revue "Inspire" (NDLR : le magazine en ligne de la branche yéménite d’Al-Qaïda, AQAP). On peut y apprendre notamment la fabrication d’explosifs. AQAP a également publié il y a quelques mois une sorte de manuel pour encourager le djihadisme individuel.

Quels sont les éléments déclencheurs pour passer à l’action terroriste ?

Internet peut suffire à radicaliser un certain nombre de jeunes, mais encore faut-il qu’il soit sensibilisé au discours politique pour passer à l’action. Une exposition à Internet ne suffit pas. Il y a sûrement quelque chose dans leur trajectoire qui explique ce passage à l’acte. Ils ont dû vivre un sentiment d’injustice. Je pense notamment aux nombreux civils tués par des drones américains au Yémen et en Afghanistan. En réponse, les djihadistes sont capables de frapper par des attentats.

Est-ce que ces deux jeunes seraient connectés à un réseau ou ont-ils agi à titre individuel ?

Pour l’instant, on ne sait pas. S’il y a des ramifications internationales, le processus serait très élaboré. Ils ne peuvent pas avoir tout monté sur Internet, il faut qu’ils aient eu un contact sur le sol américain ou au cours d’un voyage à l’étranger. Mais aujourd’hui, on ne connaît pas très bien les connections des djihadistes du Caucase avec Al-Qaïda. Ces djihadistes sont plus orientés vers la Russie que vers les États-Unis. En revanche, si ces deux jeunes ont opéré uniquement à travers Internet, ce serait une forme de djihad assez unique et peu fréquente.

Peut-on s’inquiéter d’une radicalisation sur Internet ?

Oui, la propagande va mettre en avant ces actions, car pour eux c’est un coup. J'imagine que le prochain numéro de "Inspire" sera consacré aux attaques de Boston. Cet attentat est en effet assez audacieux. Ils savent bien qu’ils ont de nombreux lecteurs, mais peu de personnes suivent au final leur recommandation. Même s’ils n'ont qu’une dizaine de personnes qui passent à l’action pour eux, c’est une victoire.

Peut-on penser que ces jeunes, originaires de Tchétchénie, sont passés à l’acte car ils souffraient de déracinement ?

Il est encore trop tôt pour tirer un enseignement ou pour aller dans un sens ou dans un autre. Ces deux jeunes ont suivi un processus universitaire normal et rien n’indiquait qu’ils avaient été sensibilisés au djihad. Pour l’instant, je vois une comparaison avec l’individu irakien qui a commis des attaques à Stockholm. (NDLR : en décembre 2010, deux explosions ont tué Taymour Abdulwahab, suspecté d’être le kamikaze, et blessé deux personnes). C’était quelqu’un avec un background important et qui n’était pas dans une situation sociale difficile, mais il vivait un déracinement. Il avait fréquenté des groupes radicaux en Grande-Bretagne et en Suède. C’était un individu isolé mais qui avait des contacts dans les milieux djihadistes. Je pense qu’on est plus dans ce profil-là.