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Guantanamo : des détenus "libérables"... mais loin d'être libérés

De nombreuses ONG réclament la fermeture de Guantanamo, où des prisonniers observent une grève de la faim depuis trois mois. Déclarés "libérables" par Washington, ces derniers sont pourtant maintenus en détention.

Nabil Hadjarab, Algérien de 33 ans, est détenu à Guantanamo depuis 11 ans. Il a été arrêté en Afghanistan et envoyé en prison car suspecté de représenter une menace pour les États-Unis. En 2007, il a été déclaré "libérable" par les autorités américaines avant de l’être une seconde fois en 2009 sous Barack Obama. Fort de l’absence de charges qui pèsent contre lui et devant le refus des Américains de l’extrader vers son pays d’origine, considéré comme peu sûr, le jeune homme a demandé l’asile à la France, dont il parle la langue et où réside son oncle. Mais voilà, la requête piétine en raison d’un statu quo de Paris.

Les communications entre la défense et leurs clients surveillées

Après avoir appris que leurs boîtes électroniques contenant des échanges confidentiels avec leurs clients avaient été surveillées, la défense de cinq accusés du 11-Septembre a demandé, jeudi 11 avril, un report de l'audience prévue prochainement à Guantanamo.

James Connell, l'avocat du Pakistanais Ali Abd al-Aziz Ali, a annoncé avoir déposé une requête en urgence auprès du juge militaire après "la révélation que les communications électroniques de la défense et leurs dossiers sur ordinateur étaient en danger". Pour les mêmes motifs, le juge James Pohl, qui préside le tribunal militaire d'exception, a reporté, à la demande de la défense, l'audience du Saoudien Abd al-Rahim al-Nachiri, accusé de l'attentat meurtrier contre le navire américain USS Cole, qui devait se tenir à partir de lundi.

Cette nouvelle révélation intervient après "la saisine de plus de 500 000 courriels contenant des communications protégées avocats-clients", selon Walter Ruiz, avocat du Saoudien Moustapha al-Houssaoui.

Le cas de Nabil Hadjarab est l’illustration parfaite des incohérences propres à Guantanamo. Sur les 779 hommes qui sont passés depuis 2002 dans les geôles de Cuba, 86 ont été déclarés libérables faute de preuves. Mais tous n’ont pas été libérés pour autant, Washington jugeant malgré tout ces prisonniers trop dangereux et donc difficiles à extrader. Une impasse dont les détenus en question tentent de sortir, depuis trois mois, en entamant un bras de fer avec les autorités.

Grève de la faim

Le 6 février, ils ont débuté une grève de la faim. Selon l'agence Reuters qui cite le Pentagone, 43 des 166 prisonniers seraient grévistes, soit quatre fois plus qu'il y a un mois. Des chiffres revus à la hausse par les avocats de la défense, qui estiment entre 100 et 130 le nombre de détenus refusant de s’alimenter. Dans le lot, 11 sont nourris de force via une technique de "gavage". Gréviste, Nabil Hadjarab est dans ce cas : ses repas lui sont administrés via une sonde enfoncée dans le nez.

La situation a achevé d’outrer les opposants à cet établissement pénitentiaire. Jeudi 11 avril, 25 organisations de défense des droits de l'Homme ont organisé des manifestations à travers les États-Unis pour réclamer au président Barack Obama la fermeture de la prison, promesse faite lors de sa campagne présidentielle de 2008, ainsi que "des mesures rapides pour gérer humainement et légalement les causes immédiates de la grève de la faim".

Cagoulés et vêtus des célèbres combinaisons oranges portées par les prisonniers, des manifestants ont également fait entendre leur voix devant la Maison Blanche. "Je suis mort en attendant la justice", proclamait une pancarte, "Combien d'autres ?" ou "Accusez-les ou libérez-les !", pouvait-on également lire ça et là.

"La crise en cours à Guantanamo ne peut pas être dissociée du fait que la vaste majorité des 166 prisonniers sont détenus depuis plus de 11 ans sans charge et ne connaissent toujours pas leur destin", ont écrit, dans une lettre ouverte, les associations, dont Amnesty International, le Centre pour les droits constitutionnels, ou l'Union américaine de défense des libertés civiles (ACLU).

Attendre la fin de la guerre contre Al-Qaïda

Washington, pour sa part, brille par son silence face aux protestations. Ou du moins par son manque de clarté, à l’image de Chuck Hagel, le secrétaire à la Défense, qui a fait savoir, jeudi, qu’il soutenait Barack Obama dans le dossier "Gitmo" - déclaration ambiguë, étant donné la position floue du président. Même retenue du côté des "pro-Guantanamo", dont les réactions à la grève des prisonniers sont rares.

"La guerre contre Al-Qaïda va bientôt toucher à sa fin. Avec la fin du conflit, les détentions deviendront illégales et les prisonniers restant ne pourront plus être détenus sans charge", a cependant écrit, en janvier 2013, Jennifer Daskal, ancienne conseillère en contre-terrorisme auprès de Human Rights Watch, dans les colonnes du "New York Times". "L’idée n’est pas de recréer une prison sur le sol américain, mais d’entamer un processus pour transférer, libérer ou poursuivre les détenus. En attendant, Guantanamo devrait rester ouvert."

Entre quatre murs, les détenus de Cuba tentent de garder espoir. "Il est temps que les hommes politiques se soucient de Guantanamo", a déclaré jeudi à l'AFP Zeke Johnson, directeur d'Amesty International aux États-Unis. Selon ce dernier, la situation n’a pas changé depuis 2005, année où le prisonnier britannique Shaker Aamer, déclaré libérable, lançait déjà un appel au secours : "Nous mourons chaque jour. La mort ne doit pas être le seul moyen de sortir de Guantanamo". Huit ans plus tard, Shaker Aamer est toujours enfermé à Guantanamo.