Une association de défense des peuples indigènes a lancé une action en justice contre une maison d'enchères parisienne qui s'apprête à mettre en vente des masques de la tribu amérindienne Hopi, que cette dernière considère comme sacrés.
Ce sont 70 masques de la tribu amérindienne des Hopis qui seront mis en vente ce vendredi 12 avril au célèbre hôtel Drouot, à Paris. Mais ces enchères ne sont pas du goût de cette communauté indienne basée en Arizona, aux États-Unis, qui les jugent illégales. Depuis plusieurs semaines, les Hopis ainsi que deux musées américains réclament en effet la restitution de ces objets.
Leur appel a finalement été entendu par une association de défense des peuples indigènes, Survival International, qui a décidé de lancer une action en justice en France et demandé l’interdiction temporaire de la vente.
"C’est très curieux qu’il y ait 70 masques qui apparaissent entre les mains d’un collectionneur. On ne dit pas qu’il les a obtenus illégalement, mais étant donné les lois américaines et internationales qui interdisent de vendre ou d’exporter de tels objets, il y a des questions qui se posent et il faut y répondre, explique à FRANCE 24 l’avocat français de Survival International, Pierre Servan-Schreiber. Une fois que la vente est faite, on perd la trace des objets. Il sera alors trop tard."
"C’est un sacrilège"
L’avocat veut mettre en doute le caractère légal de cette collection, mais aussi mettre en avant sa dimension sacrée : "Ce ne sont pas des masques décoratifs. Ce sont des vecteurs entre le monde des vivants et celui des esprits", explique-t-il.
Pour les Hopis, qui sont environ 18 000, répartis dans 12 villages dans le nord de l’Arizona, ces objets faits de cuir ou de bois, ornés de crin de cheval ou de peintures, ne sont en effet pas considérés comme de l’art, mais comme des êtres vivants qui n’auraient jamais dû quitter leur territoire.
'Ils permettent de personnifier des esprits, les 'Kachinas', qui vont faire venir la pluie ou encore permettre la fécondité. Ils sont utilisés dans un cadre religieux. Ce sont des amis", précise à FRANCE 24 l’anthropologue Patrick Pérez, auteur de "Les Indiens Hopi d'Arizona : six études anthropologiques" (éd. L'Harmattan, 2004).
Pour ce spécialiste de la culture hopi, cette vente est un véritable sacrilège. Elle est vécue comme une souffrance par la tribu. "Ils se sentent très mal. Leur responsabilité est aussi engagée car ils en sont les gardiens. Ils sont dans leur croyance et à cause de cette vente, il y aura peut-être moins d’eau cette année, des enfants qui ne naîtront pas, plus de maladies. Les gens sont très sensibles à cela !"
"Imaginez si on faisait la collection d’hosties consacrées et qu’on les mettait en vente ! C’est un rituel vivant, ce n’est pas de l’archéologie !", s’insurge Patrick Pérez.
"Pas de fondement juridique "
Face à cette vague d’indignation, la maison de vente Néret-Minet Tessier & Sarrou, qui organise ces enchères, a répondu que cette collection, estimée entre 600 000 et 800 000 euros, a été acquise de manière légale par un Français, qui a vécu plus de 30 ans aux États-Unis.
"Invoqué par les deux musées et la tribu hopi, le patrimoine culturel hopi comme détenteur du droit de propriété n’a néanmoins pas de fondement juridique en droit français, a ajouté la maison de vente à l’AFP. Ils s’appuient sur un article de la Constitution hopi qui n’est pas reconnu en France car il ne s’agit pas d’un État."
Aux États-Unis en revanche, ce genre de polémique ne se pose plus. Depuis la mise en place en 1990 de la loi fédérale Nagpra, qui interdit le commerce des objets de culte indiens, ce type de vente est prohibé.
"Ce qui lui appartient"
Le tribunal de grande instance de Paris doit statuer en référé vendredi 12 avril concernant la suspension éventuelle des enchères. En cas de refus, les Hopis ont d'ores et déjà annoncé qu’ils ne comptaient pas acheter directement ces 70 objets sacrés datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
"La tribu n’a pas beaucoup d’argent et de toutes façons, elle ne va pas payer pour récupérer ce qui lui appartient", souligne l’avocat Pierre Servan-Schreiber.