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Mitterrand et Chirac vus par les diplomates américains

WikiLeaks publie 1,7 million de documents diplomatiques américains de 1973 à 1976. Plusieurs d'entre eux permettent de mieux comprendre ce que les États-Unis pensaient de deux futurs présidents français : François Mitterrand et Jacques Chirac.

Et 1,7 million de documents diplomatiques américains de plus en libre accès sur Internet. WikiLeaks a publié, lundi 8 avril, une nouvelle salve de câbles diplomatiques américains couvrant, cette fois-ci, la période 1973 à 1976. Ils viennent s’ajouter aux quelque 251 287 messages diplomatiques secrets ou confidentiels révélés par le site fondé par Julian Assange depuis novembre 2010.

Cette fois-ci, il ne s’agit pas du résultat d’une gigantesque fuite, comme cela avait été le cas du “Cablegate” et qui a valu à Julian Assange de devenir la cible de l’ire américaine. Ce nouveau trésor documentaire provient, en fait, des archives nationales américaines. WikiLeaks a pu les récupérer sous format électronique, les a classé et a créé une base de données facilement exploitable grâce à un moteur de recherche à la Google.

Avec 372 309 occurrences, la France est le deuxième pays - derrière le Royaume-Uni - le plus souvent cité dans ces nouveaux documents. Cette période de transition politique entre la fin de l’ère pompidolienne et les premières années du septennat de Valéry Giscard d’Estaing semble avoir particulièrement inspirée les diplomates américains.

Les câbles diplomatiques dressent le portrait d’une France qui cherche à conserver son influence dans le monde et qui est traversée d’intenses batailles politiques. Dans les arcanes du pouvoir parisien, les diplomates américains en poste en France suivent de très près le parcours de deux politiciens en particulier : François Mitterrand et Jacques Chirac. Ils font des deux futurs présidents de la Ve République des portraits très différents.

François Mitterrand : Le futur premier président socialiste français fait forte impression sur l’ambassadeur américain à Paris de l’époque, John N. Irwin II. François Mitterrand, note-t-il dans un message du 28 juin 1973, a prononcé “un discours brillant, un véritable tour de force oratoire” lors du Congrès de Grenoble. Cette prestation apporte un cinglant démenti, d’après ce diplomate, à l’”affirmation d’André Malraux qui disait qu’il n’y avait rien entre les gaullistes et le Parti communiste”.

François Mitterrand trouve d’autant plus grâce aux yeux de Washington qu’il n’éprouverait aucune sympathie pour le communisme à la sauce soviétique. Un autre message, du 16 mai 1975, raconte, en effet, la déception ressentie par François Mitterrand lors d’un déplacement en URSS. “Il a été révolté et excédé par ce qu’il a vu”, rapporte ce câble diplomatique. “Le socialisme soviétique est quelque chose que François Mitterrand ne veut pas voir en France”, conclut ce document.

Reste que le destin présidentiel du leader socialiste paraît incertain aux diplomates américains. Un document du 18 novembre 1975 revient, à plusieurs reprises, sur les “excès de l’homme”. “Ses fréquentes apparitions publiques aux bras de jeunes femmes font qu’il n’apparaît pas comme une ‘valeur sûre’ en politique”, peut-on lire dans ce message. Une référence à sa réputation de coureur de jupons qui revient dans un portrait dressé, en avril 1974, de Danielle Mitterrand. L’auteur de cette notice biographique s’y amuse des déclarations de la femme de l’homme politique qui “tient à laisser aussi peu de tâches domestiques que possible à son mari, alors qu’il est de notoriété publique dans les cercles politiques français que les Mitterrand ne vivent plus ensemble depuis au moins quatre ans”.

L’autre défaut politique de François Mitterrand tiendrait à son caractère. “C’est un pessimiste qui ne croit pas à la possibilité d’une conquête du pouvoir par la gauche non communiste”, croit savoir un diplomate américain après la victoire de Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1974. L’homme politique serait également emprunt d’un fort scepticisme à l’égard du jeu politique. Deux éléments qui pourraient, d’après les services diplomatiques américains, le pousser davantage vers sa deuxième passion : la littérature. Car, croit savoir l’auteur d’une note de 1975 sur le parcours politique de Mitterrand, derrière le politicien, il y a aussi “l'une des grandes plumes de la scène littéraire française”.

Jacques Chirac : Nul doute, cet “animal politique” en veut, d’après les diplomates américains de l’époque. Jacques Chirac est dépeint, peu après être devenu Premier ministre de Giscard d’Estaing en 1974, comme un “jeune loup” qui fait preuve d’un “remarquable opportunisme politique”.

Il est, d’après John N. Irwin II, un homme de réseaux issu d’”une riche famille” qui a fait “les écoles qu’il faut” (Sciences-Po Paris et l’ENA). “Extrêmement ambitieux”, le futur président français est décrit comme “un pompidolien plutôt qu’un gaulliste” qui aurait très tôt senti le vent tourner en faveur de Giscard d’Estaing.

Bonne nouvelle pour Washington : Jacques Chirac est un admirateur de l’”American Way of Life”. “Il est fasciné par les États-Unis, adore les paysages américains et fait preuve d’un profond respect pour la conception américaine du respect des libertés individuelles”, note John Irwin II. Un amour pour le “made in USA” qui s’étend même à la cuisine. “Il avait l’habitude de venir incognito à l’ambassade afin de manger ce qu’il considère être ‘de la véritable nourriture américaine’”, rappelle l’ambassadeur.

Seul obstacle à cette irrésistible ascension : Jacques Chirac a tout “du jeune technocrate brillant à qui il manque une touche d’humanité”, écrit l’ambassadeur américain John N. Irwin II. Ce serait un “politicien dur, froid et peu diplomate dans ses manières”. “L'un de ses proches lui a conseillé de regarder ses interlocuteurs dans les yeux et ne pas toujours donner l’impression qu’il a mieux à faire”, raconte le diplomate.

Un portrait étonnant au regard du Jacques Chirac amateur de bains de foule et volontiers dépeint comme bonhomme lorsqu'il fut président, de 1995 à 2007.