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Expulsés fin mars d'un terrain près de Lyon, une cinquantaine de Roms attaquent la préfecture du Rhône en justice pour la contraindre à leur trouver un hébergement d'urgence. Une première en France.

Assis sur des couvertures posées à même le sol, une cinquantaine de Roms, dont 25 enfants, et plusieurs membres d’associations de soutien ont passé la nuit devant le tribunal administratif de Lyon. Mercredi, ils ont attaqué en justice le préfet du Rhône pour le contraindre à les reloger après leur expulsion, le 28 mars, d’un terrain insalubre à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise. La décision devrait être rendue jeudi après-midi.

Céline Amar et Myriam Matari, les avocates des douze familles roms, ont déposé en urgence plusieurs recours sur la base, notamment, du droit européen et de la circulaire ministérielle du 12 août 2012 qui impose un accompagnement en amont et en aval de chaque expulsion. Des dispositions qui, selon elles, n’ont pas été respectées. Ce recours, entamé après le démantèlement du camp de Villeurbanne, est une première en France.

Le préfet de la région, Jean-François Carenco, n’était ni présent ni représenté à l’audience à laquelle assistaient pourtant les 50 Roms expulsés. Interrogé par France 3 Rhône-Alpes, il a affirmé qu’il se bornait à appliquer la loi. "Ce sont des expulsions qui sont demandées par le propriétaire du terrain et autorisées par la justice", a-t-il déclaré mercredi, avant de s’interroger : "Est-ce que Lyon doit loger tout le monde ? Ma réponse est non par principe, et de toute façon, je n’en ai pas les moyens. L’État n’a pas les moyens de faire ça".

Accueillis par l’Église

Après le démantèlement de leur camp, les familles roms avaient trouvé refuge dans la salle paroissiale d’une église de Lyon, gérée par le père Matthieu Thouvenot. Ce n’est pas la première fois que le prêtre ouvre ses portes aux Roms. "Je ne comprends pas comment on peut expulser des gens dans la pluie et le froid quand il n’y a aucune urgence", a-t-il expliqué mercredi à l’AFP.

Mais, loin de faire rougir la préfecture, l’accueil de ces douze familles expulsées a, au contraire, apporté de l’eau à son moulin. "Il ne s’agit pas de personnes en détresse puisqu’elles sont hébergées par la paroisse. J’ai garanti que je ne les expulserai pas de la paroisse", a ainsi lâché Jean-François Carenco mercredi lors d’un petit-déjeuner avec la presse, qui se délecte régulièrement des déclarations tonitruantes du haut fonctionnaire.

Ces propos n’ont pas été du goût du père Matthieu ni des avocates des plaignants. "Je ne pense pas qu’une salle paroissiale soit un bien de l’État […], le préfet ne peut pas disposer de cette salle selon son bon vouloir", a répondu, ironique, Céline Amar.
D’autant plus que, depuis mercredi, les Roms ont été contraints de quitter l’endroit. "Je ne pouvais plus matériellement les héberger", a expliqué le curé, qui a, lui aussi, passé la nuit devant le tribunal. La paroisse n’a pas souhaité les héberger plus longtemps par manque de place, mais également par crainte que la préfecture se décharge de ses responsabilités en la matière.

La France à la traine

"L’Union européenne a créé un certain nombre d’outils pour permettre l’intégration de ces populations dans les États membres, explique Myriam Matari à FRANCE 24. Mais en France, ça ne prend pas. Et si certaines régions sont plus ouvertes que d’autres, en Rhône-Alpes, le préfet conserve une position purement sécuritaire d’expulsion et de renvoi des populations roms". La France a, à ce titre, été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Il y a un an pourtant, Jean-François Carenco se démarquait de la politique nationale en procédant très discrètement - "pour ne pas faire le jeu du FN", avait-il alors déclaré à Rue89 - à la délivrance de titres de séjour d’un an à une centaine de Roms. L’opération dite "d’insertion complète" prévoyait la scolarisation des enfants, le logement des familles, la formation et l’accompagnement vers l’emploi. Des initiatives similaires, impliquant des villages d’insertion, avaient déjà été mises en place en région parisienne, à Lille et à Nantes.

Au vu des récentes déclarations du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, dans Le Figaro, ce genre d’expérience risque de faire long feu. "Cela ne peut concerner qu'une minorité car, hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution", a affirmé le premier flic de France, qui entend intensifier les démantèlements de camps roms. Puis il a ajouté : "Je partage les propos du Premier ministre roumain quand ce dernier dit : 'Les Roms ont vocation à rester en Roumanie'". En 2012, 12 800 Roumains et Bulgares ont été reconduits dans leurs pays, soit plus d’un tiers des expulsions effectuées par la France.