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Croatie-Serbie, première rencontre sous tension depuis la fin de la guerre

Lors des qualifications pour le Mondial-2014, Croatie et Serbie s'affrontent pour la première fois depuis la fin de la guerre des Balkans en tant que pays indépendants. D'importantes mesures de sécurité sont prévues pour éviter les violences.

Un lourd passé sera au cœur de la rencontre de qualification pour le Mondial-2014 entre la Croatie et la Serbie vendredi 22 mars dans le stade Makzimir de Zagreb. Les deux pays se rencontrent pour la première fois depuis le conflit qui les opposé entre 1991 et 1995, faisant 20 000 victimes.

Dans les médias croates et serbes, ce duel est déjà qualifié de "match de la décennie". "Cet événement dépasse le cadre du sport, a ainsi résumé à l’AFP le journaliste sportif croate Robert Matteoni. La complexe histoire des relations entre les deux nations, alourdie bien évidemment par le conflit, explique l'importance accordée à ce match où il est primordial de battre l'adversaire."

Le match de 1990, un tournant vers la guerre

En proclamant son indépendance le 25 juin 1991, la Croatie se lança dans une guerre qui dura quatre ans face à la Serbie. Mais pour beaucoup d’observateurs, ce conflit était déjà palpable un an auparavant, en mai 1990, lors d’une rencontre entre les Croates du Dinamo Zagreb et les Serbes de l’Étoile rouge de Belgrade.

Dans le stade plein à craquer du Makzimir, le football avait alors laissé place à une violence extrême. Une bagarre générale avait éclaté entre les supporters des deux camps. Mais au lieu de s’interposer, la police yougoslave, au service du pouvoir de Belgrade, avait pris d’assaut les fans croates. Dans ce chaos, la star du Dinamo, Zvonimir Boban, était devenu le héros des nationalistes croates en infligeant un coup de pied à un policier pour protéger un supporter de son équipe.

Dragan Dzajic, une légende de l’Étoile rouge, se souvient de cette rencontre comme un tournant dans l’histoire des Balkans. Alors qu’il n’avait jamais imaginé qu’un conflit puisse éclater en Yougoslavie, "après le match, il était clair que tout le monde allait emprunter la même voie", celle de la violence, a-t-il déclaré depuis.

Un duel d’entraîneurs

Deux décennies plus tard, ces images sont encore dans tous les esprits. Les joueurs ne cachent pas leur appréhension à l’idée d’entrer sur le terrain. "Ce sera une de mes rencontres les plus difficiles en raison des grandes tensions créées par les médias et de la pression qui n’a jamais été aussi grande", a ainsi expliqué Darijo Srna, le capitaine croate, à l’approche de la rencontre.

Mais ce sont les entraîneurs des deux équipes qui incarnent le mieux cette rivalité. Le Serbe Sinisa Mihajlovic et le Croate Igor Stimac ne s’adressent plus la parole depuis plus de vingt ans. Les deux hommes se connaissent pourtant depuis l’enfance. Ils ont porté tous deux les couleurs de la Yougoslavie.

Mais en 1991, la guerre divise leurs destins. Sinisa Mihajlovic, né d’un père serbe bosniaque et d’une mère croate, porte le maillot de l’équipe de l’Étoile rouge de Belgrade, tandis qu’Igor Stimac joue avec la formation croate du Hadjuk Split. Les deux clubs s’affrontent en finale de la Coupe de Yougoslavie quelques jours après que des affrontements aient éclaté à Borovo, la ville natale de Mihajlovic. Sur le terrain, les deux joueurs s’insultent copieusement. "A ce moment-là, nous étions face à face. Il est venu vers moi et m’a dit d’une voix pleine de haine : "Je prie Dieu pour que toute ta famille ait été tuée à Borovo". J’ai vu rouge, j’aurais pu le tuer", se souvient Mihajlovic, cité par le journaliste croate Aleksandar Holiga.

Sous haute sécurité

Malgré ces violents différents, les deux anciens footballeurs, devenus sélectionneurs, ont décidé aujourd’hui de faire profil bas. Chacun de leur côté, ils ont appelé leurs supporters à oublier le passé. "Je supplie les supporters croates de nous soutenir avec l’amour de l’équipe nationale et non pas la haine de nos adversaires", a ainsi déclaré le coach croate Igor Stimac. "C’est le football et pas la guerre qui nous attend à Zagreb. Nous n’avons pas peur, mais du respect, car il s’agit d’une excellente équipe", a pour sa part affirmé le Serbe Sinisa Mihajlovic.

En dépit de ces paroles rassurantes, les autorités ont choisi de mettre en place des mesures de sécurité draconiennes pour cette rencontre. Les supporters serbes ne seront pas présents au stade Maksimir, les fédérations de football des deux pays ayant convenues de ne pas organiser de déplacement pour éviter les incidents. Les contrôles aux frontières ont aussi été renforcés pour prévenir l’arrivée de hooligans serbes.

La police croate a par ailleurs annoncé qu’elle pourrait arrêter la rencontre en cas de chants insultants. "L’organisateur doit d’abord avertir les spectateurs puis [si ce genre de chants continue] le match pourra être interrompu soit brièvement soit définitivement", a prévenu Krunoslav Borovec, le responsable des policiers croates.

Au-delà de l’aspect sécuritaire, ce match est également crucial sur le plan sportif dans la course à la qualification pour la Coupe du Monde 2014. En cas d’échec à Zagreb, la Serbie, qui est troisième du groupe A à six points de la Belgique et de la Croatie, n’aura quasiment plus de chance d’obtenir son ticket pour le Brésil.