
Dans un rapport publié mercredi, Médecins sans frontières dénonce les violences contre les migrants subsahariens en transit au Maroc. Une situation envenimée par le durcissement des règles européennes en matière d’immigration. Entretien.
Il ne fait pas bon être migrant au Maroc. Dans un rapport intitulé "Violences, vulnérabilité et migration : bloqués aux portes de l'Europe", publié mercredi 13 mars, Médecins sans frontières (MSF) fait un état des lieux inquiétant de la condition des voyageurs clandestins en transit dans le pays, avant d’espérer rejoindre l’Europe. Une violence à la fois institutionnelle et criminelle qui, selon l’ONG, est directement favorisée par la politique de Bruxelles. Au cours de ces dix dernières années, l’Union européenne a, en effet, durci ses contrôles aux frontières, en mettant en place une politique migratoire globale.
David Cantero, coordinateur général de MSF au Maroc, répond aux questions de FRANCE 24.
FRANCE 24 : Qui sont ces migrants ?
David Cantero : Les migrants dont nous parlons dans le rapport viennent de l'Afrique de l'Ouest : ce sont principalement des Nigériens, des Camerounais, des Sénégalais, des Guinéens. Ils ont quitté leur pays pour des raisons diverses : violences, difficultés liées au changement climatique, etc. Ils cherchent une vie meilleure, mais ce qu’ils trouvent au Maroc – pays de transit à la base mais qui est devenu une destination finale par défaut – n’est que violence.
Considérés comme des illégaux, ils ne peuvent ni travailler, ni se loger, ni avoir accès aux services de base. Ils habitent dans des forêts en plein air dans la région de l’Oriental [la région du nord du pays où se concentrent les migrants, ndlr], subsistent grâce à la mendicité, tout en se cachant. Ce sont des cibles faciles pour ceux qui veulent profiter de la misère.
Comment s’organise la violence à leur égard et pourquoi ?
La violence envers les clandestins est double. Dans un premier temps, elle est institutionnelle car, d’après les témoignages recueillis, 64 % des migrants ayant subi des violences affirment qu’elles venaient des Forces de sécurité marocaines. Il y a des rafles journalières dans les forêts et ceux qui sont détenus sont expulsés du côté algérien de la frontière. Ces expulsions sont en augmentation, y compris en ce qui concerne les groupes vulnérables : enfants, mineurs, femmes enceintes, blessés. La police algérienne se rend aussi responsable d’abus.
Dans un second temps, la violence envers les clandestins est criminelle car des bandes de délinquants opèrent le long des routes migratoires et tirent un bénéfice économique de l’exploitation des migrants (vol, racket). On a affaire à des réseaux de trafic d’êtres humains qui se livrent par exemple à la vente de femmes en tant qu’esclaves sexuelles en Europe.
Qu’espérez-vous de la part de l’Union européenne après la publication de ce rapport ?
Nous espérons que des actions concrètes vont être prises afin que sécurité rime dorénavant avec respect des droits humains. Il faut que l’UE prenne en considération ce qu’il se passe sur le terrain. Mais ce n’est pas notre rôle de dicter la politique migratoire, ni en Europe, ni en Afrique. En tant qu’organisation humanitaire, nous nous contentons de dénoncer.
Vous annoncez le départ de votre ONG du Maroc car ce n’est pas une association de défense des droits de l’Homme, justifiant également cette décision par le fait que des progrès satisfaisants ont été accomplis sur le plan médical. Cependant, dans le même temps, vous déclarez que plus de 1 100 personnes victimes de violences ont été soignées en 2012 par vos soins dans la région de l’Oriental. N’est-ce pas une raison suffisante pour rester ?
Nous avons effectivement soigné beaucoup de migrants, avec l’aide des autorités médicales marocaines. Mais, la racine de ce mal est la violence et le manque de respect en matière de droits de l’Homme. Or, ces thématiques dépassent notre mandat en tant qu’organisation médico-humanitaire.
Toutefois, le relais après notre départ est assuré : d’une part, par le biais d’une association de lutte contre le sida basée à Rabat, qui va élargir son domaine de travail et s’occuper dorénavant des migrants survivant de violences sexuelles. D’autre part, à Nador, dans l’Oriental, nous avons effectué une passation avec une association catholique. Cette dernière attend le feu vert de son bailleur de fonds pour commencer le travail. Nous quittons donc le pays assez confiants.