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Ces fermiers britanniques qui prennent leur Internet en main

Oubliés des grands opérateurs Internet britanniques, des fermiers et des villageois d’une campagne reculée du Royaume-Uni sont en train de construire leur propre réseau Internet à très très haut débit.

C’est une initiative qui devrait donner des idées aux populations rurales françaises qui regardent de loin le déploiement progressif de l’Internet à haut débit en France. Comme dans l’Hexagone, le Royaume-Uni connaît une fracture numérique entre villes et campagnes. Des fermiers et villageois du nord de l’Angleterre, qui en ont assez d’attendre, ont donc décidé de prendre leur Internet en main. D’autant plus que le géant britannique BT (British Telecom) leur a fait comprendre que, pour des raisons économiques, il n’installerait pas le haut débit chez eux.

Leur projet, baptisé B4RN*, vise à transformer huit paroisses situées dans la région de Lancashire, au nord de Manchester, en Silicon Valley dopée en megabytes par seconde. À terme, les 1 400 habitants - un mélange de fermiers et de villageois de petites communes - devraient bénéficier d’une connexion ultrarapide à 1 gigabit (1000 megabits)/seconde.

Le projet pourrait même s’étendre à 4 000 autres villageois des environs si B4RN réussit à trouver suffisamment de fonds. De quoi donner un sérieux complexe d’infériorité aux Numéricable, Orange et autres SFR qui vantent, dans les grandes villes françaises, leur fibre optique permettant de surfer à 100 megabytes/sec théoriques.

Tout est fait en local

Pour l’instant, seuls deux villages bénéficient effectivement d’une telle connexion à faire pâlir d’envie les accros au Net du monde entier. La chaîne de télévision BBC, qui s’est rendue sur place début février, a pu constater que le débit réel de téléchargement y dépasse les 900 megabytes/sec. “D’ici fin mars, deux autres villages devraient être reliés et un peu plus de 150 personnes bénéficieront de cette connexion”, souligne Martyn Dews, un habitant de la région, conseiller en architecture réseau et membre du projet B4RN, joint par FRANCE 24.

Si le déploiement du réseau semble, actuellement, en bonne voie, “ça a été difficile au début

de convaincre les habitants du bien fondé de l’initiative”, explique Martyn Dews. Il y avait certes une envie, se souvient pour sa part Christine Conder, coiffeuse et co-fondatrice de B4RN. “Les gens disent la vérité à leur coiffeur”, soutient-elle, et la question de l’Internet revenait souvent. Mais encore faut-il lever l’argent pour réaliser ce rêve...

En décembre 2011, les fondateurs de B4RN décident de demander des fonds aux habitants de la région. Ils doivent réunir 200 000 livres sterling (232 000 euros) avant fin février 2012. À force d’explications et de réunions, ces pionniers d’un Internet coopératif réussissent leur pari. Ils lèvent 300 000 livres (348 000 euros).

Ils sortent alors les tracteurs, les pelles et achètent les câbles et les ustensiles nécessaires pour mener à bien leur grand dessein. Tout est fait en local. “On a des électriciens, des villageois qui s’y connaissent en réseaux informatiques. Tout le monde a mis ces compétences en commun”, explique Christine Conder. Leur chance : un câble de fibre optique passe précisément par la région. Les membres de B4RN réussissent à trouver un accord avec GeoNet, le propriétaire de ce câble, pour s’y connecter.

Leur malchance : l’été 2012 est pourri, il pleut quasiment tous les jours dans la région. “Sincèrement je ne pensais pas qu’on y arriverait”, reprend Martyn Dews. Mais finalement, l’Internet à très haut débit arrive, en octobre dernier, à Quernmore puis, peu après Noël, à Arkholme (20 km plus au nord).

Aventure humaine

Mais B4RN n’est pas une entreprise philanthropique. Pour bénéficier de cette connexion ultrarapide, il faut payer 150 livres sterling de frais d’installation puis 30 livres sterling d’abonnement mensuel. “C’est un peu moins que ce que je paie à BT pour mon abonnement Internet illimité et téléphonie”, compare Martyn Dews.

Celui-ci soutient, par ailleurs, que les habitants ont tout à gagner à souscrire à cette offre. “Aujourd’hui les démarches administratives ou encore les formulaires à remplir pour acheter un tracteur se font sur l’Internet et on peut difficilement se satisfaire de la connexion, au mieux très lente, que certains avaient jusqu’à présent”, affirme-t-il. Cet évangéliste de l’Internet à très haut débit cite aussi en exemple ce producteur de courts métrages qui “met dorénavant ces films en 2 secondes sur YouTube au lieu de deux jours auparavant”.

Surtout, ce projet est aussi et “avant tout”, pour ses initiateurs, une aventure humaine. “On a vu des avocats creuser côte à côte avec des fermiers, des populations qui ne se fréquentaient pas se rencontrent désormais”, s’enthousiasme Martyn Dews. C’est aussi un grand centre d’apprentissage. “Les fermiers apprennent à construire des réseaux informatiques, d’autres engrangent des connaissances en électronique, ça ne peut que leur servir dans le futur”, assure Christine Conder.

Peut-être pourront-ils louer leurs services à tous ceux qui aimeraient faire de même dans leurs régions oubliées des grands opérateurs britanniques ? “On est littéralement submergé de demandes d’assistance”, explique Christine Conder. Mais l’heure n’est pas encore à exporter leur savoir-faire. Pour l’instant, il leur faut trouver un moyen de traverser une rivière qui leur complique un peu la tâche. Quant à savoir quand l’intégralité des huit paroisses seront connectées, cela “va beaucoup dépendre de la météo”, affirme Martyn Dews.

* À la fois un acronyme pour "Broadband For the Rural North" - le haut débit pour le nord rural - et un jeu de mot autour du terme "barn" qui signifie "grange".