La tension ne cesse de monter entre la rébellion syrienne et le Hezbollah libanais, accusé de bombarder, depuis le Liban, des localités aux mains des rebelles en Syrie. Décryptage avec Ziad Majed, professeur à l'Université américaine de Paris.
La tension va crescendo depuis quelques jours entre les rebelles syriens et le Hezbollah libanais, allié à l'homme fort de Damas, Bachar al-Assad. Les premiers accusent le parti chiite de combattre aux côtés des troupes du régime syrien et de bombarder, depuis le Liban, des localités aux mains des rebelles en Syrie. La rébellion, qui a évoqué "une invasion sans précédent", a même menacé de répliquer sur des positions du "parti de Dieu" situées de l’autre côté de la frontière.
Ce dernier, qui a perdu trois combattants la semaine dernière sur le sol syrien, explique implicitement qu’il cherche à protéger les populations libanaises des villages chiites situés sur le territoire syrien. Ces évènements marquent une escalade dans le conflit en Syrie car c'est la première fois que l'Armée syrienne libre (ASL) menace d'étendre la guerre au Liban. Pour comprendre la situation, FRANCE 24 a interrogé Ziad Majed, professeur des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris.
FRANCE 24 : Comment analysez-vous la situation qui prévaut à la frontière syro-libanaise, où la tension monte entre le Hezbollah et les rebelles syriens ?
Ziad Majed : Le parti chiite prétend vouloir défendre des populations libanaises coincées dans des villages chiites en Syrie. Géographiquement, l’argument est recevable, car il y a effectivement depuis 1920 plusieurs ambiguïtés concernant la frontière syro-libanaise. Dans certaines régions, des populations légalement libanaises se retrouvent effectivement de l’autre côté du tracé, chez le voisin syrien près de la région de Qousseir, dans la province de Homs [centre]. Des liens familiaux et économiques relient ces populations à celles qui vivent dans le Hermel, au Liban. Toutefois, ceci étant dit, personne n’a chargé le Hezbollah, un parti armé et communautaire, de protéger ces villages. C’est à l’État libanais de prendre ses responsabilités si jamais ces derniers lui demandent de l’aide. En réalité, le parti de Hassan Nasrallah utilise cet argument pour justifier la présence de ses combattants sur le sol syrien.
F24 : La sauvegarde du régime syrien est-elle devenue une priorité pour le Hezbollah ?
Z. M. : Le Hezbollah agit sur ordre. Il défend directement les intérêts iraniens en Syrie, en faisant tout pour éviter que le régime de Bachar al-Assad ne tombe. Avant juillet 2012, le mouvement chiite avait un certain nombre de ses éléments présents en Syrie, notamment pour protéger des dépôts d’armes sensibles. Mais constatant à la fin de l’été l’affaiblissement de l’armée régulière syrienne, empêtrée notamment dans les batailles de Damas et d’Alep, qui ne pouvait plus endiguer l’avancée des rebelles sur l’ensemble du territoire, le Hezbollah s’est, semble-t-il, engagé directement dans les combats. Notamment dans la région de Homs, afin de sauvegarder la continuité territoriale entre le littoral syrien et Damas, avec lesquels cette ville du centre fait le lien. Et ce, afin d’éviter que la capitale syrienne ne soit totalement encerclée. D’où l’importance de cette zone stratégique et la présence du Hezbollah.
F24 : Les rebelles syriens menacent de bombarder le Hezbollah au Liban, tandis qu’une partie de la communauté sunnite libanaise gronde contre le parti chiite. Cette situation ne risque-t-elle pas d'exacerber les tensions interconfessionnelles au Liban ?
Z. M. : Même s’ils ont lancé un ultimatum au Hezbollah, les rebelles syriens ont autres choses à faire que d’attaquer le parti pro-iranien au Liban. Il pourrait y avoir des opérations militaires dans la zone frontalière, voire des accrochages, mais ils n’iront pas jusqu’à chercher l’affrontement militaire hors des frontières syriennes. Toujours est-il qu’en s’impliquant dans le conflit du voisin syrien contre la rébellion [majoritairement sunnite, NDLR], le Hezbollah et l’Iran attisent les tensions confessionnelles au Liban. Notamment en provoquant les franges les plus radicales de la rue sunnite. Naguère isolés, des extrémistes et des salafistes voient leurs discours renforcés. Cela pourrait finir par créer une réaction violente chez une partie d’entre eux. Le Liban n’échappe pas à ce qui se passe sur un plan régional, où depuis 2003 et les évènements en Irak, les tensions entre sunnites et chiites ne font que croître et font craindre des développements dangereux.
F24 : Cependant, le Hezbollah dénonce lui aussi les ingérences des sunnites libanais dans le conflit syrien, en faveur cette fois de la rébellion.
Z. M. : En effet, dans le nord du Liban, une partie de la communauté sunnite s’active en faveur des rebelles. Certains évoquent même un refuge pour l’Armée syrienne libre. Des combattants tentent aussi de rejoindre les rangs des opposants en franchissant la frontière à partir de cette région. Toutefois à la grande différence avec le Hezbollah, il s’agit généralement d’initiative personnelle, et non pas d’une décision politique ou d’une stratégie concertée avec un pays tiers comme l’Iran. Si le Liban veut être neutre, il doit par conséquent également empêcher le parti de Hassan Nasrallah de dépêcher des combattants en Syrie.