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Berlusconi dégaine son arme médiatique et tire sur une taxe impopulaire

, envoyé spécial à Milan – À quelques jours des élections générales de dimanche, Silvio Berlusconi a adressé une lettre à des millions d'Italiens dans laquelle il promet de rembourser une taxe impopulaire, provoquant l'indignation de ses adversaires politiques.

Après 13 mois passés sous le très technocratique gouvernement de Mario Monti, les Italiens sont attendus aux urnes, dimanche 24 février, pour les élections générales. Si la coalition de centre gauche de Pier Luigi Bersani est donnée gagnante dans les sondages face au Peuple de la liberté (PDL) de Silvio Berlusconi, ce dernier n’en a pas moins opéré une belle remontée ces dernières semaines.  
Une loi électorale complexe

L’actuelle loi électorale en Italie est si complexe qu’elle a été surnommée "Porcellum", (porcherie). La Chambre des députés, Chambre basse, compte 630 sièges tandis que le Sénat en compte 315 (plus quatre sénateurs nommés à vie). Tous les sièges seront pourvus à l’issue des élections générales du 24 et 25 février. Les sièges dans les deux chambres sont répartis de façon proportionnelle, dans le respect de certaines limites visant à encourager les partis à former des coalitions. Celle qui arrive en tête se voit décerner le "prix de la majorité" à la Chambre des députés qui lui garantit au moins 340 des 630 sièges. " Le prix de la majorité" s'applique également au Sénat, mais sur une base régionale, ce qui rend plus difficile pour une coalition d’obtenir une majorité de sièges dans les deux chambres.

Une campagne télévisée, orchestrée de main de maître, a permis au "Cavaliere" de ramener l’écart de 17 points le mois dernier à tout juste 4 points, au moment de l'arrêt de la publication des sondages le 8 février.

Trois fois président du Conseil italien, Berlusconi espère qu’une dernière vague de plateaux télé achèveront de le mener à la victoire.  Dans un pays où les élections se gagnent sur le petit écran, il est un adversaire hors pair. Et pas seulement parce qu’il possède la plupart des chaînes. "Berlusconi sait exactement comment présenter son programme et dominer le débat politique", analyse Paolo Bellucci, professeur de sciences politiques à l’université de Sienne.
La taxe d'habitation en ligne de mire
Cette fois, le débat se résume à trois lettres : IMU, une taxe d’habitation impopulaire introduite l’an dernier par Mario Monti, avec, soit dit en passant, le soutien de l’Alliance du Nord, que Berlusconi s’est mis en tête de déboulonner.
En promettant il y a trois semaines de supprimer ce prélèvement et de rembourser les Italiens à hauteur de 4 millions d’euros, "Il Cavaliere" s’est assuré la suprématie de la campagne. Le débat sur l’IMU tourne en boucle sur toutes les grandes chaînes, Italia 1, Rete 4, et Canale 5, qui appartiennent toutes à Mediaset, la compagnie de Berlusconi.
Dans les émissions regardées tous les jours par des millions d’Italiens, les recettes de risotto de grand-mère ont cédé la place aux récits tire-larmes de familles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts en fin de mois, toujours, bien sûr, à cause de l’IMU.
Finies les bimbos, aussi belles que muettes, qui faisaient la réputation des émissions de Mediaset, place aux experts à la mine grave qui expliquent en long, en large et en travers que la solution n’est pas de réduire l’IMU, comme préconisé par Monti et Bersoni, mais de la supprimer, purement et simplement. Sans parler des interviews-fleuves avec le "président", qui soulèvent toujours des salves d’applaudissements parmi un auditoire d’aficionados triés sur le volet.
Accusé d’acheter les votes
Le débat sur l’IMU a viré à la farce mercredi quand Berlusconi a envoyé une lettre à des millions d'Italiens, dans laquelle il promet de nouveau de rembourser la taxe s’il est élu.
Envoyés dans les régions-clés comme la Sicile, la Vénétie, la Campanie ou la Lombardie, les lettres ressemblent à s’y méprendre à des courriers administratifs et affichent ces mots : "Avis important : remboursement de l'IMU 2012".
Mercredi après-midi, plusieurs syndicats ont été obligés de publier un communiqué pour informer les gens qu’il ne servait à rien d’apporter la missive au bureau de poste : des queues sans fin de personnes âgées espérant toucher leur remboursement s’étaient formées dans la ville portuaire de Gênes. La lettre de Berlusconi avait tout pour semer la confusion : "Le remboursement sera effectué soit par virement sur votre compte bancaire, soit directement, au guichet de la poste", pouvait-on y lire.
Les adversaires politiques de Berlusconi n’ont pas caché leur colère et leur indignation. Mario Monti l'a accusé "d’essayer d’acheter les votes des électeurs avec l’argent de l’État". Le procureur anti-mafia Antonio Ingroia, qui dirige la petite formation de centre gauche le Parti de la révolution civique, s'est montré encore plus cinglant.  "Par la lettre adressée aux Italiens leur promettant plus d'argent en échange de leur voix, Berlusconi a commis un délit, peut-être même deux", écrit-il sur son site internet, en réclamant des poursuites en justice contre l'ancien président du Conseil.
Pour le chef du Parti démocrate, Pier Luigi Bersani, cette lettre est ni plus ni moins une "escroquerie". Il a comparé le "Cavalier" à un Achille Lauro moderne, fameux maire de Naples et corrompu notoire qui, dans les années 1950, avait acheté des votes avec de la nourriture et des chaussures. "Mais Berlusconi est plus radin, a ajouté Bersani, parce qu’au moins, Lauro avait distribué des pâtes à la population."