![Le voile islamique au-delà des clichés Le voile islamique au-delà des clichés](/data/posts/2022/07/18/1658127090_Le-voile-islamique-au-dela-des-cliches.jpg)
La photographe yéménite Boushra Almutawakel travaille depuis dix ans sur la représentation des femmes voilées. Elle combat autant les préjugés du monde occidental que l'extrémisme islamique dans le monde arabe.
"Si les femmes ont la liberté de se découvrir, pourquoi n’auraient-elles pas la liberté de se couvrir ?" Boushra Almutawakel se rappelle avoir lu cette phrase sur Facebook mais elle pourrait la faire sienne. Cette photographe yéménite de 44 ans, pionnière de la profession dans son pays, travaille depuis plus de dix ans sur la représentation des femmes et sur la manière dont elles sont réifiées dans le monde musulman et occidental.
Au cœur de son travail : le voile. Si elle souhaitait initialement éviter ce sujet, déjà "fait et refait", l’idée s’est imposée alors qu’elle séjournait aux États-Unis pour ses études, après les attentats du 11 septembre. Alors que la violente réaction anti-islam qui a suivi était à son comble en Amérique, Boushra a aperçu une femme portant le drapeau américain comme hijab – tissu qui couvre uniquement la tête. "C’était une réaction au mauvais traitement fait aux Arabes et aux musulmans après ces terribles attaques", se souvient-elle, dans un entretien accordé à FRANCE 24.
Boushra Almutawakel a alors fait sa première photo et son travail artistique a d’emblée pris une tournure politique. Depuis, ses différentes séries photographiques dénoncent les préjugés que suscite le voile islamique dans le monde occidental, mais également dans l’islam radical ou dans le monde arabe.
Le voile sous toutes ses coutures
Tout en veillant à éviter l’écueil de l’orientalisme, Boushra propose une alternative aux versions romantique ou diabolisée des musulmanes dans lequel verse souvent l'Occident. La photographe, qui porte le hijab dans son pays "pour des raisons plus culturelles que religieuses", mais se découvre quand elle voyage à l’étranger, cherche au contraire à exprimer les nuances et subtilités dont il recèle.
"J’essaye d’exprimer la beauté, le choix, le mystère, l’utilité, le danger, la politique, la peur, la religion et l’aspect culturel", explique-t-elle. Dans son travail, elle décline donc le voile dans toute sa diversité, de l’objet de coquetterie à sa forme la plus coercitive. Elle met en scène les hijabs traditionnels yéménites, colorés, coquets, délicats, "artistiques à leur façon", ou l’abaya noire, tunique intégrale importée du Golfe, dans laquelle elle transforme ses modèles en fantômes invisibles.
Un contre-pouvoir au service des femmes
Quand on lui parle du voile comme moyen d’oppression, Boushra évacue l’argument. Elle dénonce une aberration ethnocentriste qui stigmatise le voile alors qu’au Yemen en l'occurence, la discrimination de la femme va bien au-delà d'un simple morceau de tissu : "Malgré des améliorations notables ces vingt dernières années, les femmes restent majoritairement discriminées et sous-éduquées", s’insurge Boushra.
"Il existe des formes d’oppression bien plus grandes que le voile, comme ne pas avoir le droit d’aller à l’école, être forcée au mariage, se faire enlever son enfant ou n’avoir aucun droit devant la justice !", poursuit-elle.
Face à l’ultraconservatisme de son pays, Boushra estime même que le port du hijab - lorsqu’il est choisi et non subi, précise-t-elle - peut être un moyen de contrôle face aux hommes. "En choisissant de se couvrir la tête, les cheveux, le visage, la femme prend le pouvoir en ne laissant pas n’importe qui voir ce qu’elle ne veut pas montrer", explique-t-elle.
À une échelle plus large, elle va jusqu'à faire du voile une revendication féministe, l'envisageant comme un contre-pouvoir dans un monde où les femmes subissent la dictature de la beauté et l’érotisation à outrance de leur corps. "Dans les pays occidentaux, il y a trop de pression sur les femmes pour qu’elles aient l’air éternellement jeunes, belles et minces. Cela représente une industrie de plusieurs millions de dollars qui ne fait qu’augmenter l’insécurité des femmes. N’est-ce pas une forme d’oppression au nom de la liberté ?" Elle fustige d'ailleurs la loi française qui interdit depuis 2011 le port du niqab - voile intégral - sur la voie publique : "une atteinte à la liberté des femmes".
Et si... les hommes se voilaient
Pour autant, elle admet sans détour que le voile peut être oppressif quand il est imposé. Dans sa série Hijab, elle couvre ses modèles – une mère, sa fille et sa poupée – graduellement, du simple foulard au niqab intégral qui fait disparaître ses personnages dans le décor. Les femmes deviennent alors invisibles, interchangeables, déniées.
"Il m’arrive de ne pas arriver à comprendre ce que disent les femmes qui portent le niqab et toutes se ressemblent, admet-elle, quand on parle à une femme intégralement voilée, on ne sait pas à qui on a affaire. Ça pourrait être n’importe qui!"
Elle s’est donc amusée à inverser les rôles, imaginant un monde où les hommes se voileraient et où les femmes porteraient les tenues habituellement portées par des hommes au Moyen-Orient. Elle cherche moins à inverser les rôles dans la société qu’à montrer les similarités entre les tenues dans une culture où "les hommes sont également tenus de se vêtir de façon modeste", rappelle-t-elle.
"Je ne veux pas nourrir les stéréotypes négatifs à propos des femmes voilées, explique-t-elle. On s'imagine souvent que toutes les femmes portant le voile sont faibles, oppressées, ignorantes, et arriérées", précise la photographe. En tant que femme, artiste et voilée à ses heures, elle s'efforce de démontrer le contraire, proposant des images qui jouent sur les genres, les codes, les cultures, mêlant avec nuance toujours, humour et politique.