Une enquête d'Europol a démantelé un vaste réseau soupçonné d'avoir truqué des centaines de matchs de football. Pour Claude Sobry, économiste du sport, ces révélations ne sont pas surprenantes et la France serait aussi concernée par cette corruption.
Une enquête d'Europol a permis d'identifier un vaste réseau de corruption dans le football. Les policiers ont dénombré 680 matchs présumés truqués liés à des paris en ligne à travers le monde. Un cartel basé à Singapour serait à la tête de ces opérations et aurait réalisé plus de huit millions d'euros de bénéfices. Claude Sobry, professeur à l'Université de Lille II et économiste du sport, a étudié la face cachée de ces paris sportifs.
France24: Avez-vous été surpris par le démantèlement de ce vaste réseau de matchs truqués à travers le monde ?
Claude Sobry: Pas le moins du monde. Ces réseaux sont bien connus. Il y a actuellement un énorme procès qui se déroule en Allemagne et qui porte sur ces centaines de matchs. (Ndlr : un gang des Balkans pariant sur des sites asiatiques est jugé à Bochum pour 320 matchs de football truqués en Europe). Ce n’est pas surprenant qu’il y ait une autre affaire. Ce sont les mêmes filières.
Ces trafics viennent d’Asie car les sites illégaux y sont nombreux et il n’y a aucun contrôle des autorités. Il y a tout un système de mafia qui s’est mis en place et qui s’est acoquiné avec les mafias européennes en Bulgarie, Hongrie ou Albanie. Ensemble, ils sont en train de mettre la main sur le sport mondial car c’est un milieu poreux qui n’a pris aucune précaution.
Quelque 680 matches truqués ont été identifiés principalement en Europe, dans les championnats turcs, allemands et suisses, mais d'autres rencontres à travers le monde sont concernées.
Europol a notamment montré les images d'un match entre les "moins de 20 ans" argentins et boliviens en 2010 remporté par l'Argentine sur un penalty plus que litigieux accordé par un arbitre hongrois dans le temps additionnel.
Deux rencontres de Ligue des Champions ont en outre été mises en cause. Quatorze rencontres de qualification pour la Ligue Europa, sont aussi concernées.
Le match ayant entraîné le plus grand bénéficie, 700.000 euros, serait une rencontre du championnat d'Autriche entre le Red Bull Salzbourg et Hartberg.
F24 : Comment ces réseaux parviennent à truquer des rencontres ?
C.S.: Ils cherchent tout d’abord à savoir qui va perdre le match. Il est plus facile de faire perdre une équipe que de la faire gagner. Ils achètent ainsi les joueurs de l’équipe qui va perdre, ou bien les arbitres. Ils placent ensuite des observateurs dans le stade qui par téléphone vont donner au fur et à mesure de la rencontre des informations à ceux qui jouent en direct sur les sites de paris à l’autre bout du monde. Durant le match, ils peuvent parier en temps réel sur quel score il y aura dans 10 minutes ou à la mi-temps.
On voit ainsi des rencontres de division inférieure avec des niveaux de paris assez surprenants. Il n’y a pas beaucoup de spectateurs dans les gradins, à part deux ou trois types qui ont l’oreille vissée au téléphone. C’est plus simple pour eux de truquer ce type de rencontres de championnats mineurs car ils peuvent plus facilement corrompre les joueurs.
F24: Le réseau démantelé lundi par Europol aurait truqué des matchs principalement dans les championnats turcs, allemands et suisses. Est-ce que cela signifie que la France est épargnée ?
C.S.: Pas du tout. En France, il y a deux problèmes. Tout d’abord, on assiste à une véritable politique de l’autruche de la part des autorités qui ne veulent pas écorner la belle image du sport. Il y a ensuite un manque de moyens. Ni les fédérations, ni la police n’ont les ressources pour enquêter sur ces réseaux. C’est la même chose que pour le dopage, on ne trouve des choses que lorsque l'on cherche vraiment. Selon moi, les matchs truqués sont même plus graves que les scandales de dopage. Le public peut s’accommoder d’un athlète qui triche pour améliorer ses performances, mais il aura plus de mal à accepter qu’une équipe se couche pour une histoire d’argent. Il y a un aspect moral.
Le risque est grand pour le football et le sport en général que les spectateurs se détournent finalement du sport. En Chine par exemple, la population s’est désintéressée des matchs locaux. Les spectateurs ne regardent plus que les championnats étrangers à la suite des scandales de corruption (Ndlr : le président de la fédération chinoise et ses deux vice-présidents ont été condamnés pour truquages et pots de vin de matchs). À force, les supporters de football n'y croient plus du tout...