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L'accord entre Buenos Aires et Téhéran laisse la communauté juive d'Argentine sceptique

L'Argentine et l’Iran ont passé, le 27 janvier, un accord afin de faire la lumière sur l’attentat meurtrier antijuif commis en 1994 à Buenos Aires. Pour la communauté juive d’Argentine, cet arrangement constitue un nouvelle entrave à l’enquête.

L’annonce a pris la communauté juive d’Argentine de court. Le 27 janvier, la présidente Cristina Kirchner a annoncé la signature d’un accord avec Téhéran sur la création d’une Commission pour la vérité destinée à faire la lumière, en toute indépendance, sur l’attentat perpétré en 1994 à Buenos Aires contre l'Association mutuelle israélite argentine (Amia) et dans lequel 85 personnes avaient péri.

"C'est historique, s’est enthousiasmée Cristina Kirchner sur son compte Twitter. Environ 19 ans après l'attentat contre l'Amia et pour la première fois, il y a un instrument légal mis en place entre l'Argentine et l'Iran", pays que la justice argentine soupçonne d’être derrière cette attaque terroriste, la plus meurtrière jamais commise sur le sol argentin.
 
Selon les termes de l’accord, la commission sera "composée de cinq juristes internationaux de renom pour établir la vérité", a précisé la présidente argentine. "Aucun d'entre eux ne pourra être de la nationalité de l'un des deux pays. C'est une condition indispensable d'indépendance". En outre, la justice argentine aura désormais possibilité d’interroger les accusés iraniens à Téhéran, ce à quoi l’Iran s’était jusqu’ici toujours opposé.
 
De leur côté, les autorités de la République islamique se sont félicitées de la création d’une commission de juristes indépendants susceptible d’établir la vérité et de "clore le dossier". Pour Téhéran, cet arrangement est d’autant plus bienvenu qu’il lui permettra de fournir des informations dans une affaire pour laquelle sa responsabilité est pointée du doigt.
 
Crime contre l’humanité
En 2006, après avoir connu moult errements, irrégularités et entraves, notamment sous la présidence de Carlos Menem, l’enquête s’était en effet concentrée sur une seule piste : celle d’un attentat exécuté par le Hezbollah libanais et commandité par l’Iran. En novembre de cette année-là, le juge fédéral chargé de l’affaire avait ainsi émis un mandat d’arrêt international pour "crime contre l’humanité" contre huit officiels iraniens, dont l'actuel ministre de la Défense, Ahmad Vahidi, et l'ex-président Hachemi Rafsandjani. Mais, depuis, Téhéran s’est toujours employer à nier son implication dans l’attaque, bloquant toute avancée dans les investigations.
 
Soucieux de relancer la procédure judiciaire, l'Argentine et l'Iran avaient ouvert, en octobre 2012, des négociations au siège de l'ONU à Genève qui, après plusieurs rencontres entre les chefs de la diplomatie argentine, Hector Timerman, et iranienne, Ali Salehi, ont abouti à la signature de l’accord de ce 27 janvier.
 
Cession de la souveraineté argentine ?
En attendant sa promulgation par les Parlements respectifs de deux pays, l’arrangement fait des vagues. Pour la communauté juive argentine, qui compte quelque 300 000 membres, soit la plus importante d'Amérique latine, la mise en place d’une Commission pour la vérité laisse craindre que les suspects iraniens ne soient jamais porté devant la justice.
 
"La mise en place d'une Commission pour la vérité, qui n'existe pas dans le cadre des lois argentines régissant le processus pénal, se traduirait par une cession de notre souveraineté", se sont inquiétées, via un communiqué, l'Association mutuelle israélite argentine (Amia) et la Délégation des associations israélites argentines (Daia).
 
Selon les deux organisations, l’accord reviendrait à "reconnaître que les conclusions auxquelles est parvenue l'enquête judiciaire, qui ont donné lieu à des mandats d'arrêt d'Interpol, ne constituent pas la vérité". Et d’ajouter : "Ignorer toutes les actions entreprises par la justice argentine et les remplacer par une commission qui, dans le meilleur des cas, sans qu'un délai ait été fixé pour le faire, ne fera qu'une recommandation aux parties, constitue, sans aucun doute, un recul dans les efforts pour obtenir que justice soit faite."
 
Au-delà de l’Argentine, cet énième rebondissement a également suscité des frustrations. "Constituer une commission conjointe avec l’Iran est une farce, a indiqué à Reuters Shimon Samuels, directeur des relations internationales du Centre Simon-Wiesenthal, basé à Paris. Cela va étouffer les affaires de terrorisme et encourager les mollahs à commanditer de nouvelles attaques."

En Israël, les autorités ont fait part de leur étonnement. "Nous avons été surpris d'apprendre cette nouvelle", a déclaré à l'AFP Yigal Palmor, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Nous attendons que les Argentins nous fassent parvenir tous les détails sur ce qui se passe car de toute évidence, cette affaire concerne directement Israël".