Inspiré par la contre-culture américaine et la vieille tradition figurative européenne, l’art baptisé "Modern Art & Pop Culture" arrive pour la seconde fois à la Halle Saint-Pierre, à Paris.
Au fil de son parcours, le Croate Davor Vrankic a pu mesurer combien son dessin pouvait connaître d'appréciations diverses, suivant les époques et les pays. Affichés à Paris le temps de l’exposition "Hey ! Modern Art & Pop culture / Part II" (à la Halle Saint-Pierre jusqu’au 23 août 2013), ses grands formats figuratifs ont hérité des surréalistes, du cinéma et de la photographie, et flirtent avec la bande dessinée et l’illustration. Longtemps, son travail n’a pas été considéré comme du "vrai art".
À Zagreb, où il a fait ses études aux Beaux-Arts dans les années 80-90, Davor Vrankic était ignoré de ses pairs. "C’était mal vu, ça n’appartenait pas au 'grand art'. Tout le monde avait abandonné le dessin classique et travaillait avec les ordinateurs, il fallait être conceptuel et minimaliste." Arrivé à Paris, l’art du jeune Croate reçoit le même accueil, mais Davor Vrankic s’installe malgré tout dans la capitale française. En 1997, la Halle Saint-Pierre s’intéresse enfin à lui. Puis aux États-Unis, où le "low-brow art" (littéralement art "bas du front") a pignon sur rue, il se révèle comme un grand artiste. La galerie branchée P.P.O.W., dans le quartier Soho à New York, le fait connaître et en 2001, le prestigieux MoMA (Museum of Modern Art) acquiert une de ses oeuvres.
En France, en dehors de la Halle Saint-Pierre, les portes n'ont pas été nombreuses à s'ouvrir. Il finit toutefois par se faire une place au Paris Art Fair, grande foire d’art contemporain, l’année dernière. "Il a fallu beaucoup de temps pour imposer ce type de dessin", concède Davor Vrankic. "En Europe, les gens cherchent une correspondance avec Jérôme Bosch et les surréalistes ; aux États-Unis, on me prête des influences dans le cinéma et la photo – et ça me plaît ! Ce qui me préoccupe, c’est l’espace et la matière qui se mélangent, qui bougent, qui sont tour à tour attirants et repoussants".
Le fracas de l'inconscient
Comme Davor Vrankic, la Halle Saint-Pierre expose des artistes biberonnés au cinéma et aux comics, à Disney et au peintre Mati Klarwein, au pop art et aux graffitis. Mais pas seulement. Les vitraux du Moyen-Age, les peintures figuratives de la Renaissance, la sculpture primitive africaine sont également aux racines de ce mouvement artistique mondialisé qui s’est épanoui aux États-Unis, mais reste timidement apprécié en France. Quelques Français s’y reconnaissent toutefois, comme le jeune performeur et sculpteur Paul Toupet, auteur d’un gisant monumental autour duquel évoluent des petits mickeys et donalds, traités à la façon de statuettes africaines.
Parmi les artistes américains choisis pour l’exposition par le duo Anne & Julien – ce sont eux qui ont lancé la revue "Hey !" en mars 2010 et initié la première exposition du genre à la Halle Saint-Pierre en septembre 2011 -, figure Amanda Smith, jeune femme venue de l’Ohio avec ses mini-tableaux mi-naïfs, mi-efffrayants. Les céramiques qu’elle a modelées et peintes, représentent des enfants souriants dans un beau monde pastel et lumineux, directement inspiré des miniatures indiennes. Un univers sans défaut que vient perturber un élément monstrueux : un tigre, un diable, une scie.
Comme elle, beaucoup de femmes ont trouvé leur place dans cette exposition : Kathy Staico Schorr en peinture, Mariel Clayton et ses Barbies et Ken disposés dans des mises en scène gores, ou encore Kate Clark, taxidermiste new-yorkaise qui invente des créatures mi-animales, mi-humaines. "Il y a une vraie communauté de femmes-artistes, particulièrement à New York", remarque cette dernière.
"Les femmes sont en train de prendre la main sur le marché de l’art aux États-Unis. Les commissaires sont des femmes, les responsables de galeries le sont aussi. C’est devenu normal", reconnaît Amanda Smith. La contre-culture serait donc paritaire ? "En voyant mes créatures très grand format, beaucoup croient que seul un homme a pu faire cela", s’amuse Kate Clark.
Hommes ou femmes, les artistes exposés à la Halle Saint-Pierre ne refoulent ni violence, ni sexualité, ni morbidité. "La vie n’existe pas sans la noirceur. Quand l’inconscient essaie d’émerger et qu’il remonte à la surface, il produit du fracas", note Martine Lusardy, conservatrice à la Halle. "Ce n’est pas forcément destructeur, c’est au contraire nécessaire pour que la vie continue. C’est une preuve que l’art n’est pas mort !"