Le tribunal correctionnel rend lundi son jugement dans l'affaire des détournements du programme de l'ONU en Irak "Pétrole contre nourriture". L'ex-ministre de l'Intérieur et le groupe pétrolier sont soupçonnés de malversations.
[FRANCE 24 vous propose de relire ce dossier que la rédaction avait publié au mois de janvier 2013]. Le tribunal correctionnel de Paris doit rendre lundi après-midi son jugement dans le procès des détournements du programme de l'ONU en Irak "pétrole contre nourriture". Vingt prévenus ont comparu en début d'année, dont Total et l’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua.
Parmi les autres prévenus figurent également le PDG de Total Christophe de Margerie et Jean-Bernard Mérimée, ancien ambassadeur de France à l’ONU. Au total, 18 personnes physiques, parmi lesquelles des hommes d'affaires, des journalistes et des anciens diplomates, ainsi que deux personnes morales, dont le grand groupe pétrolier français, sont mises en cause dans cette affaire aux ramifications mondiales, pour corruption, trafic d'influence ou complicité d'abus de biens sociaux.
Toutes sont présumées avoir bénéficié des largesses du régime autoritaire de l’ancien président irakien Saddam Hussein. Elles se seraient notamment enrichies à travers des malversations autour du commerce du pétrole irakien au moment même où les exportations de brut du pays étaient sévèrement encadrées par le programme "Pétrole contre nourriture".
En vigueur de 1996 à 2003, ce programme avait été conçu par l’ONU pour alléger l’impact sur la population de l’embargo économique imposé à l'Irak par la résolution 661 du Conseil de sécurité, après l'invasion du Koweït en 1990. Il permettait à Bagdad de vendre une quantité limitée de pétrole, théoriquement sous le strict contrôle de l'ONU, en échange d'aide humanitaire et de biens de consommation.
Allocations en barils de pétrole
Sauf que le pouvoir irakien avait détourné ce programme et encaissé 1,8 milliard de dollars par le biais d’un circuit de ventes parallèles et de surfacturations. En outre, Bagdad attribuait des allocations en barils de pétrole à des personnalités "amies", qui recevaient des commissions lors de la revente des produits pétroliers en contrepartie de leur lobbying en faveur de la levée des sanctions internationales contre l’Irak.
Dans le volet français
de cette affaire aux ramifications mondiales, les peines maximales encourues par les personnes physiques sont de 5 ans de prison et 75 000 euros d'amende pour trafic d'influence passif, 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende pour corruption d'agents publics étrangers, de 5 ans de prison et 375 000 euros d'amende pour abus de biens sociaux. Des amendes plus élevées, de 375 000 à 1 875 000 d’euros sont prévues pour les deux personnes morales.
Sous réserve de points de procédure susceptibles d'entraîner son renvoi (la défense prévoit de poser des questions prioritaires de constitutionnalité, NDLR), le procès doit se dérouler jusqu'au 20 février à raison de trois après-midis par semaine.
Les principaux prévenus
L’ancien ministre de l’Intérieur, souvent dans le collimateur de la justice française ces dernières années (il a été condamné à de la prison avec sursis pour financement illégal de campagne électorale et dans une affaire de complicité d'abus de biens sociaux, NDLR), est soupçonné d'avoir perçu du régime irakien des bons (allocations), pour 11 millions de barils de pétrole, en 1999 et 2000. L’ancien candidat à la présidentielle de 2002 réfute en bloc les accusations portées contre lui. Il est poursuivi pour trafic d'influence passif et corruption d'agents publics étrangers. Toutefois, le parquet avait demandé la relaxe en ce qui le concerne.
L’actuel PDG de Total, qui était directeur pour le Moyen-Orient des activités d'exploration et de production du groupe pétrolier au moment des faits, est poursuivi pour complicité d'abus de biens sociaux. Il est soupçonné d'avoir joué un rôle dans le contournement de l'embargo onusien contre l'Irak - ce qu'il nie. D’ailleurs, là aussi, le parquet avait demandé qu’un non-lieu soit prononcé en sa faveur.
Le groupe est poursuivi en tant que personne morale pour corruption d’agents publics étrangers, complicité et recel de trafic d'influence, contre l'avis du parquet qui avait requis un non-lieu. En clair : Total est soupçonné d'avoir sciemment payé des surfacturations afin d'obtenir des contrats et acheté du brut irakien provenant d'allocations illicites à des personnes privées. Total se défend de toute intention frauduleuse ou de violation d'embargo. Dans ses réquisitions, prononcées le 12 février, le parquet a demandé au tribunal de déclarer le groupe pétrolier coupable, en tant que personne morale, de corruption d'agents publics étrangers et de lui infliger l'amende maximum prévue à l'époque des faits, soit 750 000 euros.
Les autres peines requises, à l'encontre d'anciens cadres de Total, de responsables d'associations ou d'ex-diplomates, sont pour la plupart des amendes, dont une de 100 000 euros réclamée contre Jean-Bernard Mérimée, ancien ambassadeur de France à l'ONU. Une seule peine de prison, de 18 mois dont 6 ferme, a été demandée, contre Bernard Guillet, ancien conseiller diplomatique de Charles Pasqua.
Avec dépêches