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Mort de Ravi Shankar, le Bach indien

Le célébrissime joueur de sitar indien, Ravi Shankar, qui a notamment influencé Les Beatles et Les Rolling Stones, est décédé à l'âge de 92 ans dans sa maison de Californie. Portrait d’un monstre sacré qui révolutionna le monde de la musique.

C’est la mort d’un virtuose, du "parrain de la musique du monde". Le musicien et compositeur indien Ravi Shankar est décédé à l'âge de 92 ans près de sa résidence dans le sud de la Californie, a annoncé sa famille, ce mardi.

Plus qu’un drame, une tragédie, au sens grec du terme. Car si la mort du célébrissime joueur de sitar est une grande perte pour le monde de la musique, son décès était aussi un passage nécessaire pour l’élever au rang de mythe, "et le ranger parmi les immortels", confie Bertrand Dicale, journaliste à France Info, spécialiste du monde de la musique - et admirateur du compositeur indien. Vivant, il était humain. Mort, il devient un demi-dieu.

Un demi-dieu encensé comme il se doit par ses contemporains. "Une ère s'achève. La nation se joint à moi pour rendre hommage à son génie insurpassable", a déclaré Manmohan Singh, le chef du gouvernement indien. Certains éloges frisent d’ailleurs l’hagiographie. Il "n’était pas un simple artiste, il était l’Artiste. Le Bach indien", dit de lui Bertrand Dicale. "Il était de ceux qu’on ne se permet pas de juger. Le genre d’homme dont la musique ne ‘s’apprécie’ pas : elle se reçoit."

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La mort du musicien tourne en boucle sur toutes les chaînes de télévision indiennes
Mort de Ravi Shankar, le Bach indien

La naissance artistique à Paris

Dès le début de sa vie, Ravi Shankar avait déjà tout du héros grec destiné à une voie royale. Né à Bénarès en 1920, la ville sacrée de l'Inde, brahmane de sang, la plus haute caste indienne, le jeune Ravi était choyé des dieux.

Il "naît" une seconde fois - artistiquement - à Paris, quand son frère Uday l’emmène en France. "Son aîné lui fait découvrir l’Occident alors qu’il n’a que 11 ans. C’est l’heure de la première scène, au théâtre des Champs-Élysées, des premiers pas de notoriété." Le coup de foudre avec le public est quasi-immédiat. Il faut dire que le talent du jeune Ravi a l’heur d’être complété par une grande beauté. "Beaucoup de jeunes filles en étaient folles, raconte Bertrand Dicale, c’était un très bel adolescent."

Quand Ravi devient Shankar

Son amour à lui pour la France ne le quittera plus. Il fait ses études à Saint-Joseph, dans le 16e arrondissement de Paris, et enchaîne les tournées en Europe. Dans les années 1930, il est un peu "la star de la jet-set européenne". En 1938, il rentre en Inde et complète sa formation musicale. Il y rencontre son maître, Baba Allauddin Khan, sorte de "gourou rigoriste qui est le Conservatoire de Paris à lui tout seul", qui lui apprend "la" musique tout en le faisant choir de son piédestal, raconte Bertrand Dicale. "Loin du faste de l’Occident, il réapprend l’humilité. Dort par terre, mange deux bols de riz par jour." Baba "a changé ma vie", dira Ravi Shankar, "quand je l'ai connu, j'étais un enfant gâté. Il m'a appris l'importance de la discipline".

C’est aussi à cette époque que le jeune artiste choisit son instrument, un choix crucial pour un artiste indien. "La plupart des musiciens en Inde sont formés à tous les instruments. En grandissant, ils se spécialisent et se concentrent sur un seul", explique le journaliste de France Info. Ravi - sans surprise - se sent attiré par l’instrument le plus complexe, le moins accessible qui soit. Le plus envoûtant, donc. "C’est épouvantablement compliqué de jouer du sitar. C’est une torture, l’instrument abîme les mains, tord les doigts." Ravi persiste, apprend, travaille comme un fou. Ravi devient Shankar. C’est l’époque du virtuose.

Le virtuose revient en Occident

Dans les années 1960, après avoir conquis le cœur des Indiens, il repart à la rencontre de l’Occident. Pour parfaire sa notoriété. Il croise alors le chemin de George Harrison, le guitariste des Beatles, qui le propulsera au rang de superstar. Le musicien britannique deviendra aussi un "frère". Un titre honorifique que peu d’artistes auront la chance de porter si ce n’est Alla Rakha, son tabliste, et Yehudi Menuhin, le célèbre violoniste. Les trois hommes deviennent ses "âmes sœurs".

L’enfant de Bénarès continue son ascension, sillonne les pays, se lie d'amitié avec Mstislav Rostropovitch, Mick Jagger, John Coltrane... Il se produit à Woodstock en 1969 et remporte trois Grammy Awards, la plus haute distinction de l’industrie musicale américaine. Dans un société teintée de culture hippie et, par extension, de culture indienne, il trouve très naturellement sa place. "Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire. Ravi Shankar était assez choqué par ces jeunes qui confondaient le shit avec l’hindouisme. Lui ne fumait pas, ne buvait pas, c’était un brahmane", ajoute Bertrand Dicale.

Avec plus de 65 albums à son actif, il devient le véritable ambassadeur de la musique hindoustanie en Occident. "Présenter la musique de mon pays à l'Ouest était ma plus grande motivation. Mon avantage par rapport à d'autres musiciens, c'est que je connaissais déjà la culture occidentale", confiera-t-il, humble.

D'une santé fragile depuis plusieurs années et souffrant de problèmes pulmonaires et cardiaques, le sitariste - père de la chanteuse Norah Jones et de la compositrice Anoushka Shankar - avait subi une intervention chirurgicale pour remplacer une valve cardiaque, jeudi 6 décembre. L'opération avait été un succès mais le musicien n'a pas supporté le choc de l’intervention. C’était écrit, diront certains. "On a tenté de modifier son cœur, l’écrin de son âme", a déclaré un fan ce mercredi, "mais y toucher, c’était l’altérer. Et il le savait".

Ravi Shankar et Anoushka Shankar - Raga Anandi Kalyan