"Il fallait que je dise des choses. Je ne pouvais pas le dire n'importe quand, n'importe comment. Je suis soulagé, j'ai raconté une histoire, la mienne. Je voulais donner un témoignage, ma version, ma vision et ce que j'ai réellement vécu. Il fallait qu'à un moment je le dise et que je ne me ronge pas avec. Cela a été ma réalité pendant six ans."

Raymond Domenech s’est exprimé devant la presse, ce mardi, à la veille de la sortie de son ouvrage "Tout seul" (Flammarion), recueil de souvenirs tiré de son journal de bord de sélectionneur des Bleus (2004-2010). "C'est ce que j'écrivais le soir, c'est le jugement d'un instant, d'un moment", a précisé Domenech.

Deux ans après le psychodrame de Knysna, où les Bleus ont sombré lors du Mondial-2010 en Afrique du Sud, Raymond Domenech a donc décidé de rompre le silence. Le technicien français reconnaît ses erreurs et va même plus loin en confessant une "usure" ou encore une "perte d'énergie" après l'Euro-2008. "Il y a des choses que j'ai mal faites, que je n'ai pas vues, je n'ai pas su gérer ce groupe et cette mauvaise génération, mais je ne suis pas responsable de tout", a-t-il indiqué.

À la lecture de cet ouvrage, on perçoit surtout l’impasse dans laquelle se situait Domenech fasse à cette "mauvaise" génération.

"Certains joueurs sont déconnectés de la réalité. Parfois, j’ai honte de les entendre et de me retrouver au milieu d’eux. Ils ne sont pas suffisamment mûrs pour assumer leur situation. Comme je le dis souvent, les vainqueurs du loto ont un suivi psychologique quand ils gagnent le gros lot, eux le gagnent tous les jours, et il n'y a personne vraiment derrière eux."

FRANCE 24 a pu lire l’ouvrage de Raymond Domenech avant sa sortie mercredi en librairie. Voici les moments phares des six années de Domenech chez les Bleus :

France - Espagne, huitième de finale de la Coupe du monde 2006

Raymond Domenech revient sur la nette victoire des Bleus face à l’Espagne (3-1) avec, notamment, un dernier but inscrit par Zinédine Zidane et sur la joie qui en a découlé.

"Quand nous avons battu l'Espagne (3-1), je n'avais jamais ressenti une joie aussi sauvage, une telle envie de hurler. J'aime les photos de cette soirée là […] parce que l’on y voit les joueurs m'associer à leur bonheur."

France - Brésil, quart de finale de la Coupe du monde 2006

L’ancien sélectionneur des Bleus revient sur le quart de finale grandiose entre la France et le Brésil (1-0) avec un Zinédine Zidane étincelant.

"Dans mon souvenir, France-Brésil reste un match d’anthologie, sans doute le plus beau de toute ma carrière de sélectionneur. Nous l’avons magnifiquement gagné […]. Les joueurs ont été énormes. Je crois que je n’avais jamais vu Zidane à ce niveau. Dans mon carnet, aucun bémol pour qui que ce soit […]. Mais cette victoire (1-0) m’a laissé le sentiment que, comme sélectionneur, je ne pourrais sans doute jamais faire mieux que ce France-Brésil, le soir du 1er juillet, à Francfort."

Italie - France, finale de la Coupe du monde 2006

Raymond Domenech revient sur le fameux "coup de boule" de Zidane à l’encontre de Materazzi lors de la prolongation de la finale du Mondial-2006.

"Le coup de tête de Zidane avait révélé un pan sombre du caractère de ce joueur unique ; une faille, une énigme […]. Il a été génial pendant les quatre dernières rencontres de la Coupe du monde, au moment où son geste impardonnable a tout ruiné [...]. Un joueur m’a rapporté une formule étrange qu’il [Zidane, NDLR] aurait prononcée après le 8e de finale contre l’Espagne : 'On va en finale, d’accord, mais on ne la gagnera pas.' Il avait, en fait, reculé jusqu’à l’instant du dernier match de sa vie. Il s’est préparé pour la dernière fois, s’est habillé pour la dernière fois. Et je continue de me demander s’il n’a pas, jusqu’au bout, choisi sa dernière fois."

France - Italie, Euro-2008, demande en mariage de Domenech

Alors que la France vient d’être battue par l’Italie 2-0 et se retrouve éliminée dès le premier tour de l’Euro sans avoir gagné une seule rencontre, Raymond Domenech demande publiquement à la télévision sa main à sa compagne, Estelle Denis.

"Je suis très fort pour les suicides. J’ai senti en le disant que l’erreur serait fatale. Cela n’avait pas sa place à ce moment. JE SAIS […]. Inutile de chercher une explication rationnelle. C’était une impulsion."

France - Italie, Euro 2008, élimination de la France

Raymond Domenech est interpellé par un membre du staff à l’issue de sa dernière conférence de presse de l’Euro-2008. Celui-ci lui montre une séquence tournée aux alentours du stade de Bâle lors du match Italie-France.

"J’y découvrais un membre de ma famille aux prises avec des supporters français qui m’insultaient. La colère le rendait si furieux que les choses auraient pu mal tourner. Il se battait tout en criant : 'Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, bande de connards, mais Domenech, c’est aussi mon nom !' J’ai craqué en découvrant la séquence […]. Submergé par la rage et le chagrin, j’ai éclaté en sanglots. Aujourd’hui encore, cette scène demeure gravée en moi […]. C’est la seule fois où l’attitude du public a réussi à me faire venir les larmes."

France - Irlande, barrage retour des éliminatoires du Mondial-2010

L’équipe de France obtient sa qualification pour la Coupe du monde 2010 face à l’Irlande au Stade de France grâce à un but de William Gallas survenu après une main de Thierry Henry.

"Une tempête médiatique mondiale se déchaîna contre cette main que l’arbitre n’avait pas vue. Tout le monde avait oublié que l’histoire du foot est remplie d’erreurs d’arbitrage, que les Irlandais étaient arrivés en barrages grâce à une simulation dans la surface et à un pénalty imaginaire […]. La presse française et la classe politique jouaient contre nous sans que je comprenne pourquoi. Une tempête qui ne serait née dans aucun autre pays de culture sportive."

France - Mexique, Mondial-2010

Domenech évoque le moment le plus douloureux pour lui durant le Mondial-2010, la mi-temps du match France-Mexique (0-2) marquée par les insultes de Nicolas Anelka à son encontre.

"J'avais demandé de la profondeur et toi Nico [Anelka, NDLR], sur le premier ballon, tu restes là sans bouger." Anelka proteste. Domenech rapporte : "Patrice Evra a alors essayé d'éteindre le feu qui couvait". Mais "Anelka ne s'est pas calmé et a lancé : 'Enculé, t'as qu'à la faire tout seul ton équipe de merde ! J'arrête moi...' Je n'ai pas tout entendu. La fin de la phrase m'a échappé dans le brouhaha […]. Anelka avait tué le groupe."

À noter que la version de Domenech est différente de celles parues jusqu'ici (L'Équipe avait titré : "Va te faire enculer, sale fils de pute !"). Mais au-delà des injures, c'est surtout le tutoiement qui semble avoir désarçonné le sélectionneur français.

"Il y a eu une rupture avec le basculement au tutoiement alors qu'on avait des relations saines. C'était l'effondrement d'un monde. Il y avait le sélectionneur, les joueurs, une hiérarchie et tout d'un coup tout ça s'est écroulé. C'est un grand moment de solitude et de détresse. Je n'étais pas blessé mais choqué." 

Grève de l’entraînement, Knysna, Mondial-2010

Suite à ses insultes à l’encontre de Domenech, Nicolas Anelka est renvoyé du groupe. Les Bleus décident alors devant les télévisions du monde entier de faire grève, en soutien au joueur exclu.

"Scène surréaliste […]. Je me suis dit qu’ils [les joueurs de l’équipe de France, NDLR] étaient devenus fous. Je me suis dit, aussi, que quelques instants avaient suffi pour que tout s’écroule en moi. J’avais toujours cru à l’éthique, la fierté, la noblesse du foot. Mais comment m’identifier à ces gosses inconscients ? À leur place, j’aurais fait autre chose de ma colère et de mon indignation. Je n’aurais pas pris la décision irresponsable de détruire l’essence même de mon sport et la source de mon bonheur en refusant de jouer."

Élimination du Mondial-2010

La participation de la France à la Coupe du monde en Afrique du Sud se solde par un match nul et deux défaites. C’est la fin de l’aventure de Domenech à la tête des Bleus.

"Tout est perdu quand les cadres lâchent, quand les remplaçants ne sont pas au niveau, quand les joueurs n’évoluent pas à leur poste ou sont en retard dans la préparation, et quand on n’écoute pas les conseils des anciens. C’est mon erreur, l’une de mes erreurs. Un joueur cadre de l’Euro-2008 m’avait prévenu au sujet de Ribéry, et moi je lui ai donné les clés ! Quel con je suis […]. Je savais, mais je n’ai rien pu faire ; je me suis voilé la face, j’ai fait rempart pour être… Pour être quoi, connard ? Un con oui."

Raymond Domenech, qui fêtera son 61e anniversaire en janvier, espère maintenant poursuivre sa carrière d’entraîneur. "Quand on vit d'une passion, on n'est jamais à la retraite [...]. Je n'ai pas de réel manque, j'ai surtout une envie", a insisté l'ancien sélectionneur lors de sa conférence de presse. "Je n'ai pas l'intention d'abandonner."