Le réalisateur iranien Massoud Bahkshi dresse un portrait sans concession son pays, pétri de contradictions, dans son film "Une famille respectable", dernier né d'un cinéma iranien en pleine forme. Le film sort ce mercredi dans les salles françaises.
C'est l'histoire d'un Iranien qui redécouvre son pays après 22 années d’absence. L’histoire d’un choc : celui entre l’Occident, où est parti vivre le héros, et le monde persan, où il remet les pieds, invité par l’université de Chiraz (sud-ouest) en tant qu’enseignant. Une société visiblement en pleine évolution, à en juger par les difficultés rencontrées par Arash pour se réadapter aux codes du pays. "J’ai fait ce film pour mettre un miroir devant la société iranienne," explique le réalisateur Massoud Bakhshi.
"Une famille respectable", le premier long métrage du documentariste originaire de Téhéran, sort mercredi 31 octobre sur les écrans français. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes en mai dernier, le film dresse un portrait sans concession d’une société violente et corrompue. Une œuvre qui illustre une fois de plus la vitalité du cinéma persan.
Un polar politique
Dans ce nouvel opus iranien, tourné comme un polar politique, Arash, le personnage principal, rentre au bercail après avoir quitté son pays natal à l’âge de 15 ans. Un retour censé être temporaire, le temps d’une plongée dans les tourments familiaux et de redécouvrir une société en proie à la violence. Une violence exacerbée par le silence que son témoin, Arash, observe la majeure partie du temps.
Dérangé par les sbires du régime qui le voient comme un enseignant controversé, le personnage principal – dont le prénom fait référence à Arash l’archer, un héro de la tradition orale iranienne qui se sacrifia pour son pays – est bientôt partagé entre son sens du devoir à l'égard de ses élèves et le désir grandissant de quitter ce pays qui n'est plus le sien. À travers son regard, on devine l'inquiétude du réalisateur face à une société en perte de repères.
Miroir de la société
"Je ne vois pas le cinéma autrement que comme un documentaire," explique Massoud Bakhshi dans le dossier de presse du film. "Faire un documentaire signifie que je dois croire à l’histoire. Pendant l’écriture du scénario, j’ai constamment cherché, pour chaque personnage, chaque détail, chaque anecdote, un lien avec le réel", poursuit le réalisateur, né en 1972. Un souci de réalisme qui l’a conduit à intégrer dans son film des images réelles de la guerre Iran-Irak des années 1980, traumatisme de jeunesse du héros.
Le film pointe de manière ironique les défauts d’une société minée par les contradictions : un pays démographiquement jeune mais qui reste dominé par un système patriarcal. Une ironie clairement énoncée dans le titre "Une famille respectable" ; famille que le héro ne reconnaît bientôt plus tant certains de ses membres apparaissent corrompus et peu scrupuleux.
Ultime refuge pour Arash : les personnages féminins. Ils occupent une place prépondérante dans la mise en scène, et sont incarnés par quatre femmes très différentes représentant autant de générations. Le réalisateur a d’ailleurs dédié son film aux femmes, symboles selon lui de "pureté" et du "combat contre le mal". Dans le film, l’une d’entre elles, obsédée par la propreté, parle d’ailleurs de chasser les "impuretés" en frottant le sol.
La vitalité du cinéma iranien
Après le succès de “Une séparation” de Asghar Farhadi - Oscar du meilleur film étranger en 2011 -, et la médiatisation de “Ceci n’est pas un film” du cinéaste Jafar Panahi - récompensé par le prix Sakharov 2012 alors que le réalisateur est assigné à résidence et soumis à l’interdiction d’exercer son métier pendant vingt ans -, le septième art iranien traverse une période de grande créativité. Mais ni sa vitalité, ni sa popularité ne sont des phénomènes récents, estime Agnès Devictor, enseignante et spécialiste du cinéma iranien à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
"C’est à la fin des années 1980 que le cinéma iranien a vraiment commencé à émerger comme phénomène en Occident. Si les films ont rencontré du succès sur la scène internationale, ce qu’il faut relever c’est le phénomène de durée : cette popularité n’a pas diminué depuis et les films iraniens tiennent le haut de la rampe dans les festivals internationaux", explique-t-elle.
En 1997, "Le goût de la cerise", d’Abbas Kiarostami, a ainsi reçu la Palme d’or au festival de Cannes. En 2000, "Le cercle" de Jafar Panahi, a obtenu le Lion d’or à Venise. "Aujourd’hui, il n’y a pas un grand festival international de cinéma qui ne présente pas un film iranien", constate Agnès Devictor.
La raison de ce succès ? Une forte tradition narrative et picturale héritée d’un siècle de création artistique, ainsi qu’un savoir-faire en matière de cinéma inégalé dans le Moyen-Orient, selon la spécialiste. "Le cinéma iranien est une industrie puissante, et la production massive (plus de 100 long-métrages par an) permet aussi de produire des films singuliers".
Malgré la censure et des règles strictes qui restreignent la créativité, "le cinéma a été, ces dernières années, le meilleur ambassadeur de l’Iran à travers le monde", conclut Agnès Devictor.