
Alors que de nouvelles tensions entre musulmans et chrétiens apparaissent en Égypte, les coptes vont désigner leur nouveau pape. Le successeur du charismatique Chenouda III aura notamment pour défi de composer avec les Frères musulmans.
En accédant aux plus hautes fonctions de l’État, Mohamed Morsi a promis qu’il serait " le président de tous les Égyptiens ". Mais l’inquiétude reste vive au sein de la communauté copte, régulièrement visée par des attaques. Dimanche 28 octobre, encore, cinq coptes ont été blessés dans le village d’Ezbet Marco, au sud du Caire, lors de heurts avec des musulmans qui voulaient les empêcher d’accéder à l’église.
C’est dans ce contexte que l’Église copte orthodoxe, dont les fidèles constituent 6 % à 10 % de la population égyptienne, a entamé lundi 29 octobre le processus de désignation de son nouveau pape. Le mode d'élection de ce chef religieux est unique en son genre puisque des laïques, sélectionnés par le clergé, ont également voix au chapitre. Ce sont donc pas moins de 2 500 personnes qui ont voté pour sélectionner trois des cinq finalistes.
Un enfant aux yeux bandés tirera au sort le nom du prochain pape
Les trois candidats ainsi retenus sont l'évêque Raphaël, 54 ans, un médecin de formation et responsable des églises du centre du Caire, l'évêque Tawadros, 60 ans, de la province de Beheira, dans le delta du Nil, et le père Raphaël Ava Mina, 70 ans, a annoncé l'Église.
L'évêque Raphaël a fait campagne sur des thèmes sociaux et une vision réformatrice de l'Église, tandis que Mgr Tawadros a mis en avant les problématiques de la jeunesse. Quant au père Ava Mina, il a pour sa part plaidé pour un dialogue avec la grande institution théologique musulmane du Caire, al-Azhar.
Les noms des trois ecclésiastiques sont désormais inscrits sur des morceaux de papier, enfermés dans une boîte. Le dimanche 4 novembre prochain, elle sera placée sur l’autel de la cathédrale Saint Marc du Caire, siège de cette église orthodoxe. Au cours d’une messe, un garçon aux yeux bandés sera chargé de tirer au sort le nom de celui qui deviendra le 118e "Pape d'Alexandrie, Patriarche de toute l'Afrique et du siège de Saint Marc".
L’enfant qui interviendra lors du tirage au sort doit encore être désigné. "Plusieurs familles de la communauté se manifestent auprès de l’évêque, en disant qu’ils aimeraient avoir l’honneur que leur enfant procède au tirage au sort", explique à FRANCE 24 le père Sourial Halim, curé de la paroisse copte Saint Antoine et Saint Paul à Saint-Ouen au nord de Paris. "Pour ne pas devoir en choisir un lui-même, il y aura un tirage au sort dimanche pendant la messe pour désigner cet enfant qui doit être âgé de 8 ou 9 ans environ", poursuit-il. "On lui bandera les yeux et c’est lui qui choisira le nouveau pape, dans la tradition copte on croit qu’il est guidé par l’Esprit saint".
Longtemps considéré comme le favori, l'évêque Bichoy ne figure finalement pas parmi les candidats. Réputé tenant d'une ligne dure, il avait été à l’origine d’une polémique après avoir contesté certains versets du Coran. Son absence pourrait refléter une volonté de l'Église copte d’entretenir des relations apaisées avec les musulmans, majoritaires en Égypte.
"Moment critique"
Pour le père Sourial Halim, c’est bien là que réside l’enjeu de ce poste. "Nous avons besoin d’avoir des rapports plus sereins avec le nouveau pouvoir", estime-t-il. De nombreux défis attendent le nouveau patriarche de la communauté copte. Succéder au charismatique Chenouda III ne sera déjà pas chose aisée. Décédé le 17 mars dernier à l’âge de 88 ans et après plus de 40 ans à la tête de l’Église copte, il était connu pour la ferveur avec laquelle il défendait cette communauté, la plus grande parmi les églises chrétiennes d’Orient.
Il a laissé ses fidèles inquiets à l’heure où l’Égypte vivait la montée des islamistes. "Le nouveau pape arrive à un moment critique", confiait ainsi à l’AFP lundi, le père Bichoy, à ne pas confondre avec l'évèque cité plus haut, après avoir glissé son bulletin dans l’urne.
Le successeur de Chenouda, qui doit être intronisé le 18 novembre, sera en effet le principal interlocuteur de ses coreligionnaires auprès du président Morsi, issu des Frères musulmans. "Nous avons besoin plus que jamais de nous mélanger les uns aux autres pour cesser de juger chaque Égyptien selon sa religion, mais plutôt au regard de son amour pour l’Égypte", plaide le père Sourial Halim.
Selon Alexandre Buccianti, correspondant RFI au Caire, " les coptes ont le problème d’être des citoyens de seconde classe et ils pensent qu’avec les islamistes au pouvoir, cela ne risque pas de s’améliorer". Depuis la révolution, soit bientôt deux ans, plusieurs évènements violents sont venus attiser davantage les craintes de la minorité chrétienne en Égypte. "Ils ont déjà subi beaucoup d’attaques, rappelle Alexandre Buccianti, certains ont même été expulsés de leur domicile. Et il y a aussi eu une sorte de massacre de coptes écrasés par les blindés de l’armée ou une trentaine d’entre eux sont morts", poursuit-il, en référence à la violente répression par les autorités d’une manifestation copte le 25 octobre 2011.
La mise en cause de Coptes, vivant aux États-Unis, dans la réalisation d'un film islamophobe, à l'origine de tensions dans le monde musulman en septembre dernier, a également mis les chrétiens d'Égypte dans une situation délicate, même s'ils ont été très nombreux à dénoncer cette vidéo.
Conséquence : de nombreux coptes pensent à l’exil. Deux millions de membres de la communauté seraient établis à l’étranger, entre le Canada, l’Australie et les États-Unis. Pour le père Sourial Halim, ces exils n’ont rien à voir avec la situation des coptes en Égypte. "Ils sont certainement partis pour trouver du travail. Nous sommes en Égypte depuis l’aube du christianisme. Nous avons toujours été persécutés, et pourtant nous avons toujours résisté".