
En un mois, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Belgique ont assisté à un retour en force de certains de leurs partis indépendantistes. S’agit-il d’un épiphénomène ou d’une tendance qui pourrait faire des émules ? Éléments de réponse.
En Europe, les différents mouvements séparatistes représentent plus de 33 millions de personnes. Catalogne, Corse, Padanie… Nombreuses sont les régions qui souhaitent peser dans le débat politique de leur pays. Tour à tour, en octobre, les indépendantistes de Flandre et du Pays basque se sont fait entendre en s’imposant lors de scrutins locaux tandis que l’Écosse a obtenu la tenue d’un référendum sur son indépendance pour 2014.
Autant d’événements qui laissent à penser qu’un retour en force des différents mouvements séparatistes est en train de s’opérer en Europe - tout comme au Canada, où les souverainistes du Parti québécois ont pris le pouvoir le 4 septembre après presque une décennie de domination du Parti libéral du Québec.
Un terrain favorable aux revendications
Chercheur à l'université catholique de Louvain en Belgique et spécialiste en "séparation d’État", Vincent Laborderie ne voit dans cette succession d’événements qu’un concours de circonstance. "L’intensification de ces mouvements n’est pas nouvelle, elle remonte au milieu des années 1990. Jusqu’alors, la mission des États était de défendre les citoyens contre les menaces extérieures. Avec la fin de la Guerre froide, l’État est devenu moins utile et les citoyens ont commencé à lui être moins redevables", explique-t-il à FRANCE 24.
Hors de questions, pour autant, de voir dans ce régionalisme exacerbé un échec de l’Union européenne à fédérer les citoyens du Vieux Continent. "On peut même parler de succès pour l’Europe qui s’est constituée comme un solide espace de paix. Aujourd’hui, plus personne ne conçoit que les différentes indépendances revendiquées s’obtiennent par la guerre civile", ajoute-t-il.
Du même avis, Sylvia Desazars de Montgailhard, politologue et déléguée générale de la Fondation Essec, estime que les régions indépendantistes, à l’instar de la Catalogne, "raisonnent peu par rapport à l’Europe. Les Catalans ne vivent que dans l’obnubilation de leur bras de fer avec Madrid". Selon elle, si la thématique indépendantiste fait un retour remarqué en politique, c’est parce que la crise internationale et les politiques d'austérité ont créé un terrain propice qui ravive les tensions. Le dialogue entre pouvoir central et régions étant beaucoup mois souple, les différentes revendications se heurtent avec fracas à des dirigeants souvent dans l’impasse.
C’est le cas notamment en Espagne où "Mariano Rajoy, s’il veut respecter sa politique de rigueur scrupuleusement scrutée par l’Union européenne, n’a d’autre choix que de rester intransigeant face aux pressions de Barcelone", affirme Vincent Laborderie. La Catalogne, une des régions les plus riches du pays, revendique le droit de lever elle-même l’impôt et réclame un nouveau pacte fiscal. D'autant plus que l'autonomie fiscale accordée au Pays basque a tendance à faire des envieux. "Pour que les régions soient sur un pied d’égalité, il faudrait clarifier la Constitution espagnole", explique Sylvia Desazars de Montgaillhard. Portée par les importantes manifestations de septembre, Barcelone a convoqué, le 25 novembre prochain, des élections anticipées pour renouveler le Parlement de Catalogne, un scrutin-test qui devrait lourdement peser dans le débat sur le processus d'autodétermination de la région.
Rejet systématique des politiques actuelles
Il semblerait toutefois que le vote indépendantiste soit davantage motivé par un rejet des gouvernements en place que par une réelle adhésion. Ainsi, la plupart des dirigeants et décideurs européens sont éjectés à la première élection venue. Une situation idéale pour les indépendantistes et séparatistes qui, agissant localement, savent être réceptifs aux problèmes du quotidien.
Ce raisonnement s’applique d’ailleurs au-delà des frontières européennes. "L’élection de Pauline Marois n’illustre pas une volonté, de la part des Québécois, de tendre vers l’indépendance. Il s’agit d’un vote sanction contre l’ancienne politique de Jean Charest", assure Tommy Chouinard, journaliste politique pour le quotidien québécois "La Presse".
Le gouvernement de Pauline Marois étant toutefois minoritaire à l’Assemblée nationale, experts et commentateurs s’accordent à dire qu’un référendum sur l’indépendance n’est absolument pas à l’ordre du jour. Pour Tommy Chouinard, "les Québécois sont fatigués de ce débat qui court depuis des décennies". Par le passé, l’idée a déjà été rejetée deux fois lors du référendum de 1980 (60 % de non) et celui de 1995 (51,6 %). "Un troisième échec signerait la mort définitive du projet indépendantiste alors Pauline Marois ne prendra pas ce risque", affirme Tommy Chouinard. Aujourd’hui, explique le journaliste, la stratégie qu’applique la Première ministre, comme beaucoup de leaders indépendantistes en Europe, est de "provoquer un contexte favorable en grappillant, petit à petit, plus de pouvoir au gouvernement fédéral d’Ottawa". Le gouvernement de Pauline Marois tente, notamment, de rapatrier le budget de la Culture - chère aux Québécois - sous son autorité.
Mais sans majorité à l’Assemblée nationale, "la durée de vie d’un gouvernement est de l’ordre de 18 à 24 mois", rapporte Tommy Chouinard. "Si le budget qui va être présenté en mars 2013 est rejeté, alors nous filons droit vers de nouvelles élections", prévoit-il.
Effet de contagion ?
Québec, Catalogne, Écosse, Flandre… si aucune de ces régions ne paraît véritablement prête à sauter le pas de l’indépendance, elles sont parvenues, au même moment, à donner une nouvelle impulsion au débat régionaliste. Reste à savoir si leurs revendications simultanées influent sur les autres. "Les souverainistes militants sont au fait de ce qu’il se passe à l’étranger et sont bien évidemment solidaires. Mais du point de vue des électeurs, je doute que les autres mouvements indépendantistes fassent partie de leur préoccupations", estime Tommy Chouinard.
"Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, qui a obtenu ce que Madrid refuse à Barcelone, devrait être particulièrement attendu par les Catalans. Pour le reste, l’impact est très limité", avoue également Sylvia Desazars de Montgailhard.
Au final, bien que les activistes indépendantistes s'observent et se jaugent, leurs liens restent limités. Les gouvernements restent toutefois "attentifs" selon Vincent Laborderie. "L’influence des mouvements indépendantistes qui pourraient donner le mauvais exemple inquiète tous les pays", explique-t-il. Selon lui, le traumatisme des guerres d’indépendance dans les Balkans est encore bien présent. À titre d’exemple, Vincent Laborderie rappelle que cinq pays n’ont toujours pas reconnu l’indépendance du Kosovo, en partie à cause de leurs propres fragilités internes : l’Espagne, Chypre, dont le territoire est divisé en deux, la Slovaquie et la Roumanie, en difficulté avec la minorité hongroise, et la Grèce, par solidarité avec la Serbie. "Dans ce contexte, difficile d’imaginer que les différentes demandes d'indépendances se concrétisent et soient reconnues dans les dix ans à venir", conclut-il.