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À Paris, une exposition retrace l’histoire particulière des juifs d’Algérie

L'exposition Juifs d'Algérie, qui se tient au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à partir du 28 septembre, retrace l'histoire complexe de cette communauté. Parmi les visiteurs, certains redécouvrent avec émotion les bribes de leur passé.

Une foule se presse pour entrer dans la première salle de l’exposition. "Qu’ont-ils pu rassembler ?", se demande une vieille dame. "J’espère qu’il y aura des vielles photos de Constantine", lui répond son amie. Les deux femmes comptent parmi les personnes invitées au vernissage de l’exposition Juifs d’Algérie, organisée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme du 28 septembre 2012 au 27 janvier 2013.

On entre, plusieurs salles plongées dans la pénombre se succèdent. Devant une vitrine où sont exposés des robes en soie brodées et d’autres objets du quotidien, un vieil homme s’approche lentement. "C’est le trousseau d’une mariée. Les jeunes filles emportaient avec elles des robes habillées, et aussi des vêtements d’enfant pour leur premier bébé", explique-t-il aux personnes qui l'entourent.

Désignant plusieurs bols en métal argenté, il confie : "celui-ci appartenait à ma grand-mère, ce genre de chose servait pour la toilette de la mariée, et elle s’en est servie le jour de son mariage en 1905". Dans ses yeux se lit un mélange de fierté et d’émotion. "Plus tard, c’est mon petit-fils qui l’aura", ajoute-t-il.

Une "rupture de mémoire"

C’est en 2005 que l’idée du projet voit le jour. L’historien Benjamin Stora, conseiller scientifique de l’exposition, travaillait alors sur son livre "Les trois exils : Juifs d’Algérie". "Il est devenu clair que sur la question des juifs d’Algérie, on était face à une mémoire évanescente", se souvient Anne-Hélène Hoog, commissaire de l'exposition, qui évoque la difficulté pour les historiens de réunir des informations sur l’histoire de cette communauté.

Présents en Algérie depuis des millénaires, ils étaient considérés comme des "dhimmis", "protégés", soit des citoyens de seconde zone depuis les conquêtes arabes et ottomanes. En 1870, le ministre de la Justice, Adolphe Crémieux, accorde par décret la nationalité française aux juifs présents en Algérie. Pas aux Arabes ni aux Berbères. Mais en 1940, le gouvernement de Vichy abroge ce décret et le remplace par le "statut des juifs". Il ne sera rétabli qu’en 1943. Après la Seconde Guerre mondiale, et, notamment, la création de l’État d’Israël, puis la guerre d’Algérie, la situation des juifs se dégrade. Dans les mois qui suivent la signature des accords d’Évian, en 1962, marquant la fin de la guerre d'Algérie, 900 000 Français quittent le pays. On estime qu’entre 100 000 et 160 000 d’entre eux étaient des juifs. Les raisons de leur départ reste floues, car non officielles. Pour Anne-Hélène Hoog, "ils ont eu peur de retomber dans un 'statut' d’infériorité".

"Le but de l’exposition n’est pas idéologique, mais il s’agissait de transmettre une histoire qui se perd aux générations futures", poursuit Marie-Hélène Hoog. Car une caractéristique de cette communauté déracinée, est que, contrairement à d’autres immigrés, ils ne sont pas retournés dans ce qu’ils considéraient leur pays. "Il y a eu là comme une rupture de mémoire, et le retour au pays est difficile pour ceux qui ont gardé un grand amour pour l’Algérie", relève-t-elle. À tort ou à raison, beaucoup craignent de ne pas être les bienvenus dans une société qui a évolué avec l’histoire.

Objets et souvenirs personnels

L’évènement, inédit, est le fruit d’un long travail de recherches et de récollection. Il présente la spécificité de mêler éléments d’histoire et souvenirs familiaux. Le musée a, en effet, lancé dès 2011 un appel au don auquel plus d’une centaine de familles ont répondu, n’hésitant pas à confier des objets personnels transmis de génération en génération.

"C’est la première fois que le musée fait un tel appel à l’ouverture des archives familiales", relève la commissaire de l’exposition, qui travaille sur ce projet depuis 2005. Elle confie à FRANCE 24 l’agréable surprise qu’a créé l’élan de dons et de prêts de particuliers. "Les gens se sont montrés extrêmement généreux en prêtant objets, photos ou films. Autant de choses qui font partie de leur histoire familiale".

Les nombreuses personnes invitées au vernissage, des membres de la communauté juive d’Algérie, notamment, mais aussi des historiens, découvrent ainsi au fil des salles l’histoire de cette communauté retracée depuis l’antiquité. "L’antiquité a été la période la plus difficile à représenter, parce que, pour une raison que j’ignore, en Afrique du Nord il n’y a eu que peu ou pas d’explorations sur l’histoire des minorités juives, chrétiennes, berbères qui y ont vécu. L’histoire s’est surtout intéressée aux Phéniciens et aux Puniques", explique la conservatrice spécialiste des thématiques historiques.

Quoi qu’il en soit, les visiteurs semblent parcourir pour le moins rapidement les salles consacrées à tout ce qui précède le 18e siècle et s'attardent pour observer les lettres sorties d’archives familiales et les divers objets du quotidien. L’exposition fait une large place aux souvenirs familiaux. Des objets de prière, des ustensiles de cuisines, des vêtements, mais aussi des photos et vidéos.

Une exposition en hommage à la culture des juifs d’Algérie

"C’est le même pilon que celui de mémé" s’exclame une dame. Ça et là, les visages sont souriants, émus. Les uns et les autres semblent heureux de voir leurs souvenirs reprendre vie, mis en valeurs. "Il s’agit également de rendre hommage à cette communauté, qui est à la fois discrète et nombreuse en France et de valoriser sa culture", souligne Anne-Hélène Hoog. "Les juifs d’Algérie ont eu un rayonnement intellectuel très important et ont su allier fidélité à leurs traditions, et respect de la laïcité", poursuit-elle.

Suite à cet évènement, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme est en train de constituer des archives numériques sur la base des photos et petits films personnels prêtés par des particuliers. Ils sont déjà consultables durant l’exposition.