Le premier mandat d'un président noir à la Maison Blanche a-t-il offert une meilleure visibilité aux hommes et femmes politiques afro-américaines ? Entretien avec Andra Gillespie, professeure à l'université Emory, à Atlanta.
Au lendemain de la victoire de Barack Obama à la présidentielle de 2008, le professeur Julian Bond, figure de proue des droits civiques américains, s’enthousiasmait : "Le clivage qui prévalait entre Noirs et Blancs dans la vie politique américaine a enfin disparu, et je pense pour toujours".
Mais quatre ans après l’accession du premier Noir à la Maison Blanche, la réalité semble plus complexe. Alors que Barack Obama est donné favori dans l’âpre bataille qui l’oppose au républicain Mitt Romney, Andra Gillespie, professeure en sciences politiques à l’université Emory, à Atlanta, dresse pour FRANCE 24 l’état des lieux de la classe politique afro-américaine.
FRANCE 24 : Quel fut l’impact de l’élection de Barack Obama sur la classe politique afro-américaine ?
Andra Gillespie : Des choses qui semblaient difficiles il y a quatre ans sont désormais plus facilement réalisables. Avec l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les hommes et femmes politiques noirs peuvent considérer que leur couleur de peau ne constituera plus un obstacle pour eux. Les régions où l’on a constaté une hausse du nombre d’élus noirs ne sont pas forcément celles où la population afro-américaine est la plus importante. On peut donc dire qu’il y a eu une véritable percée, bien que des progrès restent à faire.
Les régions où l’on a constaté une hausse du nombre d’élus noirs ne sont pas forcément celles où la population afro-américaine est la plus importante.
Il est notamment plus aisé aujourd'hui pour un Noir d’être désigné maire. Certes, la plupart de ces élus dirigent des villes dont la population noire atteint au moins 30 %. On note toutefois quelques exceptions. Des villes à faible population afro-américaine comme Saratoga Springs (Utah), Denver (Colorado) ou encore Seattle (Washington) ont été ou sont dirigées par des Noirs.
Il est également plus facile pour les Noirs d'accéder à la Chambre des représentants, en partie parce que nombre d’entre eux sont élus dans des zones à fort électorat noir. Fait intéressant, par rapport à leur part dans la population américaine, la proportion de femmes noires au Congrès est plus importante que celle des femmes blanches.
En revanche, les choses n'ont pas réellement changé pour ce qui est des plus hautes responsabilités. Il est encore difficile pour un Afro-Américain d’obtenir un siège au Sénat. Et on ne compte actuellement qu’un gouverneur [Deval Patrick, dans le Massachusetts] et deux vice-gouverneurs noirs aux États-Unis.
L’arrivée d’un Noir à la Maison Blanche a-t-elle changé les mentalités aux États-Unis ?
Ce qui est positif aujourd’hui, c’est que les Blancs sont plus enclins à l’idée de voter pour un candidat afro-américain. Il existe encore des électeurs blancs qui se refuseront toujours de le faire, notamment chez les personnes plus agées. Mais ce n’est certainement pas la majorité d’entre eux. Ce n’est plus une question de couleur, mais de parti. Des républicains noirs de circonscriptions majoritairement blanches, par exemple, ont été élus à la Chambre des représentants. Logiquement, le racisme chez les électeurs blancs devrait, génération après génération, marquer le pas.
Lors de sa première campagne et même une fois à la Maison Blanche, Barack Obama a toujours pris soin de ne pas trop jouer la carte raciale. Les candidats afro-américains sont-ils contraints à la prudence s’ils veulent l’emporter ?
Certains élus noirs les plus en vue ont, à l’instar d’Obama, "déracialisé" leur campagne afin de s’attirer le vote blanc. Concrètement, cela signifie qu’ils ne se sont pas essentiellement adressés aux Noirs, qu’ils ont évité certaines expressions typiques de la communauté afro-américaine, qu’ils ne se sont pas présentés comme des militants de la cause noire mais plutôt comme des candidats érudits et diplômés. Ce phénomène n’est pas forcément nouveau. Tom Bradley, l’ancien maire de Los Angeles [1973-1993], Doug Wilder, qui fut gouverneur de Virginie dans les années 1990, ou bien David Dinkins, maire de New-York au début des années 1990, ne se focalisaient pas sur les inégalités raciales.
Obama n’aurait jamais été élu s’il avait mené la même campagne que le révérend Jesse Jackson [célèbre militant des droits civiques qui se présenta, sans succès, à l’investiture démocrate pour les présidentielles de 1984 et 1988]. Certains Noirs préfèrent, eux aussi, des candidats "déracialisés". En 2008, beaucoup d'électeurs noirs ont commencé à apporter leur soutien à Obama après sa victoire dans les Caucus de l’Iowa car ils se sont aperçus que les Blancs pouvaient aussi voter pour lui.
L’ancienne génération de leaders politiques noirs acceptent-elles bien cette "déracialisation" ?
Certains élus noirs les plus en vue ont, à l'instar d'Obama, "déracialisé" leur campagne afin de s'attirer le vote blanc.
Il y a clairement une différence entre l'ancienne et la jeune génération. De vieux politiques et intellectuels noirs, tels la députée Maxine Waters ou le philosophe Cornel West, se sont offusqués qu’Obama n’ait pas fait assez pour la communauté afro-américaine, qui souffre presque deux fois plus du chômage que la communauté blanche. Et réclament un programme fédéral qui endiguerait ces inégalités sociales.
Ils vont tout de même voter pour Obama, je n’en doute pas. Mais la question est de savoir si, en cas de réélection, le président s'exposera davantage sur la question raciale.
Seul près d’un Américain sur deux se dit satisfait du bilan de Barack Obama. Pensez-vous que ce chiffre aurait été plus élevé si le président n’avait pas été noir ?
Tout n'est pas question de couleur de peau. Ce mécontentement est d’abord lié à des questions partisanes. Avec Obama au pouvoir, la bipolarisation de la vie politique américaine s’est vivement accrue, les républicains refusant systématiquement de travailler avec les démocrates. Il est ensuite dû à des considérations politiques puisque de nombreux citoyens américains sont fondamentalement opposés à Obama. Et, enfin, il est le résultat d’une désillusion : en 2008, Obama a suscité bien trop d’attentes pour qu’il puisse les satisfaire.
Ceci étant dit, on ne peut nier le fait que sa couleur de peau en ait rebuté quelques-uns. Le ton et les images adoptés par certains de ses détracteurs, au sein du Tea Party par exemple, avaient une connotation raciale. Tout le monde dans ce mouvement n’est pas raciste, mais certains cherchent à y exprimer leur ressentiment envers les Noirs. Les sondages montrent que les partisans du Tea Party nourrissent davantage d’animosité envers les Afro-Américains que les autres Américains.
Qui sont les figures montantes de la classe politique afro-américaine ?
On parle du gouverneur du Massachusetts [Deval Patrick] comme d’un futur présidentiable, mais je n’ai jamais rien vu ni entendu qui laisserait entendre qu’il soit intéressé. D’autres évoquent le maire de Newark (New Jersey), Cory Booker, qui devrait briguer le poste de gouverneur du New Jersey ou un siège de sénateur. Il est encore jeune.
Il est plus probable que les États-Unis portent une femme ou un Latino à leur tête avant d’élire un nouveau président noir.
Il est plus probable que les États-Unis portent une femme ou un Latino à leur tête avant d’élire un nouveau président noir. Dans deux ou trois cycles électoraux, un candidat latino sérieux briguera la présidence. Je pense au maire de San Antonio (Texas), Julian Castro, et à son frère jumeau, Joaquin, qui s’est présenté cette année au Congrès. Ou aux républicains comme Marco Rubio, sénateur de Floride, et Susana Martinez, la gouverneure du Nouveau-Mexique, qui ont remporté un vif succès lors de la dernière convention du parti.
Je devrais également préciser que les États-Unis connaîtront sûrement dans le futur un candidat d’origine asiatique. Les deux actuels gouverneurs issus de cette communauté, Bobby Jindal en Louisiane, et Nikki Haley en Caroline du Sud, méritent qu’on s’y intéresse.
Crédit photo : aaron_anderer via Flickr