
Depuis les élections d’octobre 2011, premiers scrutins libres de la Tunisie indépendante, le pays fait face à des violences commises par les salafistes. Sans qu'Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, ne réagisse.
Une chaîne de télévision saccagée, des débits d’alcool attaqués, des postes de police incendiés, sans compter les divers actes d’intimidation dirigés contre la population. Depuis de longs mois, la Tunisie est le théâtre de nombreuses exactions commises par des groupes salafistes, lesquels se réclament d’un islam radical.
Face à cette vague de violence, les réactions des dirigeants d’Ennahda, le parti islamiste qui domine le gouvernement, se font rares. La condamnation la plus tonitruante remonte... au 30 mai dernier, lorsque le Premier ministre, Hamadi Jebali, a accusé les salafistes radicaux de "transmettre des messages faux et qui font peur", susceptibles de "mettre à bout les Tunisiens". "Est-il inscrit dans l'islam d'imposer à autrui ses idées avec la force et la violence ? s’interrogeait celui qui promettait une réaction rapide du gouvernement.
Un coup de semonce qui, si l’on se réfère aux dernières nouvelles, n’a pas eu un
Le président tunisien Moncef Marzouki a critiqué vendredi avec virulence ses alliés islamistes du mouvement Ennahda, les accusant de chercher à s'accaparer tout le pouvoir, dans une lettre à l'ouverture du congrès de son parti, le Congrès pour la République (CPR).
"Ce qui complique la situation, c'est le sentiment grandissant que nos frères d'Ennahda s'emploient à contrôler les rouages administratifs et politiques de l'Etat", a écrit le président dans cette déclaration lue par l'un de ses conseillers à l'ouverture du congrès.
"Ce sont des pratiques qui nous rappellent l'ère révolue" du président déchu, Zine el-Abidine Ben Ali, a-t-il dit, dénonçant "des nominations de partisans (d'Ennahda à des postes clés), qu'ils soient compétents ou non".
(Source AFP)
grand impact auprès des islamistes radicaux. L’exemple le plus marquant remonte au 16 août. Ce jour-là, Jamel Gharbi, conseiller régional socialiste des Pays de la Loire (ouest de la France), se promenait en compagnie de sa femme et de sa fille dans le quartier du port de Bizerte, ville dont il est originaire, quand il a été violemment pris à partie par des militants islamistes opposés à un festival culturel organisée dans la cité tunisienne. "Frappé à coups de matraque et de gourdin", l’élu s’en est sorti avec de nombreuses contusions et n'a dû son salut qu'au fait qu'il soit parvenu à s'enfuir. "Si j'étais tombé à terre, ils m'auraient lynché", expliquait-il peu après les faits.
"Le sentiment qui domine aujourd’hui en Tunisie est la peur"
Pour l’islamologue Mathieu Guidère, interrogé par FRANCE 24, Ennahda est confronté à "un dilemme doublé d’un paradoxe." "Ennahda est un parti islamiste chargé de régler un problème qui relève de l’islamisme, détaille l’expert. En réprimant pour de bon les salafistes, le chef du gouvernement s’expose à deux risques : être associé au régime autocratique de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali - ce qu’ils ne veulent surtout pas -, et provoquer la radicalisation de cette frange autoritaire."
Mouvement de clandestin hier, formation de gouvernement aujourd’hui, Ennahda a opéré sa mue en vue des prochaines élections générales qui devraient se tenir entre mars et juin 2013. Lors de son congrès qui s’est tenu du 12 au 16 juillet dernier, le parti islamiste a choisi une voie centriste, synonyme de realpolitik.
"Pour obtenir une légitimité politique et rassurer ses électeurs, Ennahda a dû s’éloigner des thèses prônées par les salafistes, qui réclament ni plus ni moins l’application de la charia, qui est anticonstitutionnelle en Tunisie, souligne Mathieu Guidère. Le parti islamiste, au pouvoir, est dans une posture purement politique. Un des courants du parti préconise même un rapprochement avec le centre. Les salafistes, uniquement guidés par la morale religieuse, souhaitent quant à eux un changement en profondeur de la société." Autant de divergences de vue qui ont pour effet de raviver le climat de violence.
À en croire l’islamologue, le sentiment qui domine aujourd’hui en Tunisie est "la peur." "Peur que son secteur touristique, déjà fortement fragilisé, s’enfonce un peu plus dans la crise eu égard à la mauvaise image laissée par les salafistes à l’étranger. Peur que le comportement mi-chèvre mi-chou d’Ennahda banalise les exactions. Peur, enfin, que les salafistes basculent dans la clandestinité et donc dans le terrorisme, si Ennahda venait à les ostraciser", conclut-il. Ainsi la marge de manœuvre semble bien étroite pour Ennahda qui doit faire adopter la nouvelle Constitution le 23 octobre prochain et, partant, ouvrir une nouvelle ère dans l'histoire de la jeune démocratie tunisienne.