Malgré une énième gaffe du vice-président américain Joe Biden liant l'esclavage au programme du candidat républicain, la Maison Blanche a réaffirmé que le colistier de Barack Obama ne serait pas remplacé. Analyse.
Fauché en plein envol. Alors que Paul Ryan, colistier du candidat républicain à la Maison Blanche de Mitt Romney, monopolisait l’attention des médias depuis sa désignation, le vice-président américain Joe Biden lui a volé la vedette.
C’est au cours d’un rassemblement dans l’Etat de Virginie, la semaine dernière, que le jovial Joe Biden a une nouvelle fois frappé, ou plutôt dérapé. S’adressant à une foule composée majoritairement d'Afro-Américains, il n’a pas hésité à affirmer que les propositions économiques du ticket républicain revenaient à "remettre des chaînes aux pieds" des Américains. Ces propos, tenus dans un ancien État esclavagiste, ont déclenché une vive polémique, relayée notamment par des blogueurs de divers bords politiques, pointant du doigt une référence inappropriée à l'esclavage et une campagne présidentielle délétère.
Cette controverse a remis l’ancien sénateur – plutôt discret durant le premier mandat d'Obama – et la question de la vice-présidence sur le devant de la scène politique.
Une histoire de faux-pas
En 2008, ce poste a été proposé au très expérimenté Joe Biden, sénateur depuis près de quarante ans, afin de contrebalancer la jeune carrière politique de Barack Obama, perçu par certains à l’époque comme inexpérimenté. Sa présence, jugée rassurante pour la classe ouvrière blanche et catholique, vient s'ajouter à la popularité d'Obama auprès des jeunes électeurs, des progressistes et des minorités. Toutefois, la principale différence entre leurs personnalités respectives concerne leur comportement lors des apparitions publiques : si le très discipliné Barack Obama s'écarte rarement de ses discours préparés à l’avance (il est souvent raillé pour sa dépendance aux prompteurs), Joe Biden pimente ses interventions par des apartés prononcés sur un ton familier, dont parfois, des "gaffes" dont il a le secret.
Généralement, ses écarts verbaux restent sans conséquence - comme lorsqu’il avait déclaré devant les électeurs du New Hampshire, en 2008, qu’Hillary Clinton aurait été "un meilleur choix que moi [pour la vice-présidence]", ou quand il a demandé, la même année lors d'un meeting, à un sénateur en fauteuil roulant de se lever pour que la foule l'applaudisse.
Toutefois, il arrive que les propos à l'emporte-pièce de Biden lui jouent de plus mauvais tours. Sans surprise, son récent commentaire sur les "chaînes aux pieds" a été repris au vol par l'équipe de Romney qui a décrit la campagne d'Obama comme étant "uniquement centrée sur les divisions, les attaques et remplie de haine". L’ancien ticket présidentiel républicain de 2008, John McCain et Sarah Palin, a recommandé au président américain de remplacer son colistier par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton.
Même le quotidien de gauche The Boston Globe, a appelé Biden à présenter ses excuses. Toutefois, afin de couper court à toute polémique, les démocrates se sont empressés de soutenir le vice-président. Ce, bien que Barack Obama a reconnu que les propos de son partenaire l'avaient "perturbé". Lors d’un point de presse, le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a répété que le "ticket" présidentiel démocrate pour l'élection du 6 novembre serait bien "Obama-Biden". "C'est une question qui a été tranchée il y a très longtemps", a-t-il insisté.
Une loyauté à toute épreuve
Ce n'est pas la première fois que l'équipe d'Obama doit gérer les contrecoups des gaffes de Biden. L'administration a appris à "faire avec". Après tout, Obama a choisi Joe Biden comme colistier quelques mois seulement après que ce dernier a décrit le futur président américain comme "le premier (candidat) afro-américain consensuel qui s'exprime bien, qui soit brillant, propre sur lui et beau garçon".
Malgré ces débuts embarrassants, le président a appris à apprécier la loyauté, souvent à toute épreuve, dont Biden a fait preuve au cours des quatre années tumultueuses du mandat présidentiel. Lors d’une réunion de chefs démocrates en 2010, Joe Biden a défendu Barack Obama face aux allégations présentant le président comme un dirigeant faible. "P…, il n’y aucun moyen que je reste ici et que je parle du président de cette façon", s’est-il alors écrié, selon des témoins.
Néanmoins, leur relation a connu quelques remous, comme l’illustre une remarque teintée d’ironie du président américain à l’égard de Biden. L’hôte de la Maison blanche a répliqué un jour à un journaliste qui lui expliquait qu'il n'avait pas compris une déclaration de Biden, que cela "n'était pas surprenant".
Cela n’a pas empêché le président Obama de confier bon nombre de tâches à son colistier, "à commencer par la mise en œuvre du plan de relance ainsi que de nombreuses missions de politique étrangère", explique Thomas Mann, du think tank Brookings Institution.
Museler le "chien d'attaque"?
Cependant, suite à l’épisode des "chaînes", il semble que l’équipe de campagne d'Obama prenne soin de ne pas laisser Biden mettre en péril les chances de réélection du chef de l’Etat. A titre d’exemple, la Maison Blanche a récemment cessé de publier l’intégralité des discours du vice-président, contrairement à ceux du président ou de la Première dame.
Malgré la polémique suscitée par ses propos en Virginie, Joe Biden va toutefois continuer à riposter aux attaques du ticket républicain tout au long de la campagne électorale, et ce, en des termes plus acerbes qu'Obama lui-même, conformément au rôle classique d’un vice-président à l’aube d’une élection. Un rôle de "chien d'attaque" qui lui permet de mordre ses rivaux sans se soucier de manquer de dignité présidentielle.
Pourtant, la multiplication des gaffes de Joe Biden pourrait lui compliquer la tâche, selon Jean Fortier du think tank Bipartisan Policy Centre, basé à Washington. "Biden peut jouer le rôle du chien d'attaque, mais il pourrait perdre de son efficacité s’il ressent la pression permanente des médias, à l’affut de sa prochaine gaffe", explique-t-il.
Rien ne prouve pour l’instant que les bourdes de Biden ont eu un effet négatif sur les chances d’Obama. Un article, récemment publié par le magasine en ligne Salon, argue que les propos de Biden sur les "chaînes" pourraient mobiliser l’électorat noir du parti démocrate, une partie importante d'entre eux vivant dans les swings states décisifs comme la Virginie et la Caroline du Nord. Les personnes présentes en Virginie ont en effet applaudit la fameuse sortie de Biden.
"En évoquant des sujets qui ont une puissante résonance émotionnelle face à un public particulier, [Biden] touche dans le bon sens le noyau électoral d'Obama", était-il écrit dans l’article de Salon. "C'est exactement le genre de propos marquant qui pousse les gens à aller voter."